George Best et Manchester United : un amour de destin ?

Certains croient que nous avons chacun un destin. D'autres croient que le hasard nous porte et que nous sommes chacun libre d'écrire notre histoire. Pour George Best, c'est définitivement un peu des deux.

Son nom le prédestinait déjà à ce qu'il serait un jour, le meilleur. Sa naissance dans une famille ouvrière, lui inculquant des valeurs d'un travail rigoureux et cette haine de la défaite qui l'habitait le destinait déjà à Manchester United. Il quitta le club contre son gré, rongé par l'alcool, le corps fatigué, rejeté de l'équipe par le manager de l'époque, Tommy Docherty. Ses performances n'étaient plus à la hauteur. George Best alla ensuite de club en club, passant notamment par plusieurs équipes de la NASL, la MLS de l'époque. Il avouera maintes et maintes fois qu'il n'y eut qu'un club pour lequel il avait eu réellement envie de jouer, Manchester United. Il déclara ainsi : "Je n'ai jamais arrêté de suivre les résultats. J'avais la sensation de faire partie du club. J'aurais voulu y faire toute ma carrière."

Ces phrases à elles seules résument l'amour de Best pour United, mais pas seulement. On y voit aussi des regrets, une sorte de nostalgie. Il aurait pu faire bien mieux. Cela aurait pu mieux se finir. Pourtant, ses dribbles, son audace et sa grâce balle au pied restèrent dans les mémoires et dans l'Histoire. Peu aujourd'hui ont eu la réelle chance de le voir jouer. Certainement que vous, qui lisez ces lignes, avez vu quelques vidéos de ses plus beaux buts ou bien le connaissez de nom, grâce à ses citations piquantes dont il avait le secret.

Le jeu de George Best ne peut pas se narrer. Ce n'est pas ici que l'on va s'y essayer. On ne raconte pas le génie de Mozart. On n'explique pas le génie de Best. Regardez des vidéos et vous comprendrez. Cela relève de l'ineffable.
Ce qui peut se raconter en revanche, ce sont des faits, des petites anecdotes contées ici, pour vous en apprendre un peu plus sur l'audace du joueur qu'il était et sa confiance inébranlable. Non pas en lui, mais en son jeu.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, George Best était un grand timide en dehors des terrains. Remarqué par le recruteur de Manchester United Bob Bishop, il fut envoyé en essai au club. Lui qui, à 15 ans, n'avait jamais quitté sa Belfast natale, dut quitter l'Irlande du Nord pour atterrir à Manchester et apercevoir de loin aux entraînements des joueurs qu'il ne voyait d'habitude qu'à la télévision. Il ne voulait pas croiser le regard de Matt Busby. Tout le monde à l'époque connaissait l'histoire du crash de Munich survenu en 1958. Le jeune Best aussi et cela contribua à son impression d'être perdu dans l'immensité du club. Bobby Charlton et Harry Gregg l'impressionnaient particulièrement, d'autant plus que le dernier était le gardien de son pays et dans ses rêves, Best se voyait contrôler un de ses dégagements lors d'une coupe du monde.

Le jeune joueur enchaîna les bonnes prestations et impressionna ses coachs. Néanmoins, il ressentit de plus en plus le mal du pays et la difficulté d'être loin de ses parents. Et à peine une semaine plus tard, il décida de rentrer chez lui, résigné à ne pas devenir footballeur professionnel. Son père reçut un coup de téléphone du club et comprit tout de suite que United comptait sur son fils, désirant son retour et promettant de le placer chez Mme Fullaway, une dame protectrice qui prendrait soin de lui. Cette femme deviendra plus tard comme une seconde mère pour le petit "Georgie". Le patriarche de la famille Best , Dickie, fut convaincu par les arguments du club et connaissait bien son fils. Il décida alors de le piquer dans son orgueil.

"-Qu'est ce qu'ils ont dit ?
- Ils ne veulent plus de toi."

Ce mensonge n'avait pas manqué de secouer George dont le visage se marqua instantanément. Dickie lui avoua alors la vérité. Son fils savait qu'il avait fait une erreur en quittant United et qu'il en ferait une nouvelle en les repoussant à nouveau. Il fit alors écrire une lettre pour le club par son père, qu'il signa lui même et alla poster. Deux semaines plus tard, il était installé chez Mme Fullaway. C'est ainsi que commença l'histoire de George Best à Manchester United.

Et il continua de l'écrire lui même ensuite par son talent naturel. Il dribblait parfois le même défenseur deux fois d'affilée, juste pour le plaisir. Son aisance était telle qu'il lui arriva de garder le ballon plusieurs minutes sur le terrain, comme si c'était sa chose. Il n'était certainement pas le plus grand des passeurs mais il se demandait à quoi bon faire la passe, étant donné que les autres allaient en faire un moins bon usage que lui. Cet égocentrisme aurait pu lui coûter cher. Mais Busby était un manager comme le fut Ferguson par la suite avec le jeune Cristiano Ronaldo, il le laissait être lui même et monopoliser le ballon. Best avoua lui même qu'il pensait pouvoir garder le ballon 20 minutes d'affilée. Busby le regardait partir balle aux pieds au milieu de deux ou trois adversaires et perdre le ballon parce qu'il avait refusé de le passer plus tôt. Au fond, Busby était agacé de cela mais le conseil de son assistant de l'époque, Jimmy Murphy, lui resta en tête durant toute la période où il dut manager George Best : "laisse-le faire, il finira par comprendre tout seul".

 

Les premières semaines à Manchester furent très dures. Il était isolé et pensait que personne ne l'avait remarqué. Alors, déterminé à réussir et inspiré par son éducation nord-irlandaise, il se mit à travailler très dur. Il faisait du rab aux entraînements, restait des heures de plus que les autres.
Il avait toujours eu cette volonté du travail acharné. Un de ses premiers entraîneurs à Belfast lui dit un jour qu'il devrait entraîner son mauvais pied. Best porta alors une chaussure en toile au pied droit pour se rappeler qu'il devait toucher le ballon seulement du pied gauche, ce qu'il fit pendant tout un match. Il eut le même niveau d'implication à United. Dès qu'il avait un moment de libre, il jonglait. Il perfectionna ses centres, son jeu de tête en accrochant dans le gymnase un ballon en hauteur qu'il augmentait au fur et à mesure pour améliorer sa détente. Il cherchait à frapper les montants de 20, 25 ou 30 mètres.

C'est ainsi qu'il eut sa chance en équipe première et marqua les matchs de son empreinte jusqu'à devenir un titulaire indiscutable très jeune. Il remporta le Ballon d'Or et la Coupe des clubs champions européens, l'ancêtre de la Ligue des Champions, en 1968, à seulement 22 ans. Cette année-là, le Manchester United de la Sainte-Trinité, Best-Charlton-Law, battit le Benfica d'Eusebio en finale, 4-1 après prolongations. George Best inscrivit le second but mais ne réalisa pas son meilleur match et fut paradoxalement plutôt contrarié à la fin du match.

Il est difficile de parler de la carrière de George Best sans regret, tant il semblait pouvoir atteindre les plus hauts sommets. Mais le phénomène qu'il était alla au-delà du sport, chose à laquelle nous sommes habitués aujourd'hui mais dont il fut un des premiers représentants à l'époque. Il vendait. Il avait une gueule d'ange, était appelé le « 5ème Beatle » et enchaînait les publicités. Les filles étaient folles de lui. Après la finale de 1968, Best demanda même à ce qu'on lui constitue un staff personnel. Il recevait cinq milles lettres par semaine et son fan club fut géré par 3 secrétaires. C'est simple, Best était partout : télévision, magazines, journaux, en une, en dernière page, sur les panneaux publicitaires...

Tout le monde connaît la suite. Comment sa réussite lui monta à la tête, ainsi que le goût de la fête accompagnée de belles femmes. Ses performances baissèrent peu à peu. Il était un alcoolique notoire et commença à négliger ses entraînements. Mais son audace et sa confiance en son jeu restèrent les mêmes. Il avait développé un sens de la compétition presque maladif. Ainsi, en 1976, Best n'était déjà plus un joueur de Manchester. Il menait une vie dissolue. A peine arrivé dans un club, il en repartait. Il fut toutefois appelé pour les éliminatoires de la Coupe du monde avec l'équipe nationale d'Irlande du Nord et notamment pour y affrontrer les Pays-Bas de Johann Cruyff qui venaient de perdre la finale de 1974 face à l'Allemagne. Ils pratiquaient alors le football total et Cruyff était alors considéré par la presse comme le meilleur joueur au monde, ce qui ne manquait pas d'agacer Best et donna lieu à l'anecdote suivante.
Bill Elliott, reporter pour le Daily Express, voyageait dans le même bus que les joueurs nord-irlandais, ce qui était autorisé à l'époque. Il discuta avec Best et les deux hommes se mirent à parler du surdoué néerlandais.

"-Est-ce qu'il est meilleur que toi ?
- Tu dois sûrement plaisanter, rigola Best. Je vais te dire ce que je vais faire : dès que j'en ai l'occasion je lui mets un petit pont."

Et après seulement cinq minutes de jeu, Best reçut le ballon sur le côté gauche. La suite est contée par Bill Elliott lui-même : "Il a mis deux adversaires dans le vent puis s'est approché de Cruyff. Là, il a glissé le ballon entre ses jambes. Et alors qu'il le contournait pour poursuivre sa course, il a levé son poing droit en l'air. Nous n'étions que quelques-uns à savoir ce que signifiait cette fanfaronnade."

Le poing en l'air, en guise de victoire, George Best célébra son petit pont à Johann Cruyff. Le poing en l'air, George Best célébrait ses buts. Sa statue devant Old Trafford le représente la main droite posée sur sa hanche, avec à sa gauche Denis Law levant le bras. Bobby Charlton est de l'autre côté, une main posée sur l'épaule du buteur et tient le ballon dans l'autre.

George Best est toujours là, devant le club qui l'a fait naître, suivant de loin chaque résultat du club qu'il a toujours aimé. C'est ici que George Best écrivit son destin. A moins que ce soit ici que le destin amena George Best. S'il était encore là actuellement, il dirait certainement qu'il aurait sa place dans cette équipe, pour leur montrer la voie à suivre.

Ceux qui aiment le football regretteront sûrement sa fin de carrière, regretteront de ne pas l'avoir vu jouer de leurs propres yeux. Lui regrette seulement de ne pas avoir vu le message inscrit au feutre noir dans chacun des quatre quarts des drapeaux de l'Ulster flottant le jour de ses funérailles. Ce message qu'il a toujours pensé vrai et qu'il aurait tant aimé entendre de quelqu'un d'autre, comme pour se sentir moins seul. Mais George Best est seul, car il est à part. Ce jour-là, le message affichait :

MARADONA GOOD
PELE BETTER
GEORGE BEST

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