Le latéral gauche d’United est vite devenu un vrai Red Devil. Il respire le club, plus que la ville, qu’il avoue ne pas si bien connaître. Parcours initiatique.


Le choc des débuts

« Avant d’arriver, je ne mesurais pas vraiment ce que représentait ce club. Je ne le connaissais qu’à travers Cantona, en fait. Je ne soupçonnais pas la puissance de l’entreprise United, ni la chaleur de la famille United. Dès le premier jour, j’ai senti un parfum différent. Tout le monde ici travaille dans le même sens et donne le meilleur pour que Manchester reste toujours au top. Du jardinier à Alex Ferguson. Je me suis dit "Là, Pat, t’es dans un autre monde." Tout était irréel. Et quand je suis rentré pour là première fois à Old Trafford avec ses 76 000 spectateurs, pff… Quel choc ! »

« J’en ai quand même bavé. Je suis parti de mon quartier des Ulis (Essonne) à 17 ans pour tenter la chance en Italie. Rien n’a été facile. Je ne suis pas passé par un centre de formation. Ce parcours m’a aidé. Quand j’ai raté la sélection pour la dernière Coupe du monde, je me suis dit "Tu as 25 ans, tu es à Manchester. Les dirigeants t’ont fait confiance. Prouve-leur qu’ils n’ont pas eu tort." Il m’a fallu du temps pour m’adapter. J’ai dû beaucoup donner à l’entraînement. Je suis devenu un fidèle de la salle de musculation. Je me suis forgé un mental de gagnant… Non, en fait, je l’avais déjà ce mental, mais il fallait le faire ressortir et l’exploiter. »

Les coups de gueule de Ferguson

« Si jamais tu envisages de t’endormir, il est là pour te réveiller. On m’avait parlé de lui et de sa réputation avant que je vienne, mais moi, j’ai découvert un type qui protège ses joueurs, et ce que j’aime au-delà de tout chez lui, c’est son honnêteté. Il ne fait aucune différence entre les anciens, les nouveaux ou les jeunes. Et s’il doit t’avoiner avec son hair dryer treatment, l’engueulade nez à nez où son souffle te sèche instantanément les cheveux, eh bien, qui que tu sois, c’est pareil ! Je n’y ai pas encore eu droit, et je n’aimerais pas que ça m’arrive. Une fois, tout de même, au début, il est venu me voir à la mi-temps d’un match... »

"Eh Patrice, on t’a fait venir pour quoi ici ?
- Ben… Pour jouer… Pour mes qualités…
- Et c’est quoi tes qualités ?
- Ben… attaquer.
- Bon alors, qu’est ce que t’attends ?"


« Le tout sans crier, mais sur un ton sec. Ça secoue. Le message était clair. Si je ne fais pas le boulot, c’est le banc. Le pire avec lui, c’est le jour (le 20 janvier 2007) où, après avoir mené 1-0 à l’Emirates face à Arsenal, on a fini par perdre 2-1 avec deux buts dans les 10 dernières minutes, dont un d’Henry de la tête… Et là, pff… il nous a tous tués. J’étais un des premiers à rentrer dans le vestiaire et c’est moi qu’il a attaqué en premier. Il m’a parlé à un centimètre. Et il a enchainé avec les autres. Un par un. Les bouteilles ont volé dans le vestiaire. Tout a volé. Après, dans le bus, il nous a regardés, il a rigolé et il nous a dit : "Mais pourquoi voulez-vous vous rendre la vie difficile quand elle peut être facile ? " »

Les fils de la classe ouvrière

« Il y a autre chose qui m’a frappé ici. C’est le passé commun de la plupart des joueurs. Notre histoire personnelle rappelle celle de Sir Alex. Lui est un fils d’ouvrier des chantiers navals de Glasgow. Moi, je viens du quartier des Ulis. Je suis issu d’une famille de vingt-quatre frères et sœurs. Ouais, ouais, vingt-quatre… Wayne Rooney est un enfant des quartiers pauvres de Liverpool. Même chose pour Cristiano Ronaldo, Ryan Giggs ou Carlos Tevez. »

« Tout ça n’est pas un hasard. Je me souviendrai toute ma vie d’un discours du coach. C’était il y a deux ans, et, avant un match, il avait parlé de chacun de nous. Pour moi, il avait dit : "Pat, c’est un gars qui a vingt-quatre frères et sœurs. Comme ses parents ont dû bosser dur pour que chacun puisse manger à sa faim, il n’a pas toujours eu ce qu’il voulait." Il a ainsi parlé du destin de chacun. »

« Il nous a montré que cette équipe avait forcement une âme. Ca va bien au-delà de la qualité technique du groupe. Le coach, quand il choisit ses joueurs, je suis sûr qu’il regarde leur histoire. Leur vécu. En tout cas, je sais que Manchester m’a suivi deux ou trois ans avant de me faire signer. Ils se sont renseignés, ils voulaient voir, au-delà du joueur, ce que l’homme à dans le ventre. Et puis Ferguson regarde si vous avez une famille. Si vous êtes marié avec des enfants. Enfin stable, quoi. »

Le poids de la tradition

« En arrivant, tu croises les anciens. Chacun a son siège réservé en tribune d’honneur. Ils appartiennent à l’histoire du club. Au début, je serrais la main à des gars sans savoir qui ils étaient. On m’a vite mis au parfum. "Eh, tu sais à qui tu dis bonjour, là ?" Mais la reconnaissance ne s’arrête pas aux anciennes gloires. L’intendant dans le vestiaire, il s’appelle Barry Morehouse, eh bien, il vendait des programmes dans la rue pour le club. Il s’occupe maintenant de nous dans le vestiaire. »

« T’imagines pour lui ? Un autre exemple : tous les matins, en arrivant à Carrington, le camp d’entraînement, je fais la bise à Kathy, qui travaille à la réception. Cette semaine, elle a fêté ses quarante ans de présence à United. C’est Manchester, ça. Quarante ans de fidélité. Ils sont très conservateurs ici, dans le bon sens du terme. Par exemple, le vestiaire : pendant des décennies, il n’avait pas été modernisé. Et ce, malgré les travaux d’agrandissement d’Old Trafford. Les gens qui visitaient le musée du club et le stade restaient toujours interdits en pénétrant dans le vestiaire. "C’est vraiment ça ?" »

« Justement oui, c’est ça ! Tu y respirais les grandes heures passées. C’était un vestiaire d’ouvriers. On est là pour bosser, pas pour faire les beaux. Tu te disais, c’est là que se sont assis Bobby Charlton, George Best, Eric Cantona, David Beckham. A l’intersaison, le club a finalement décidé de le refaire. Il a été agrandi, modernisé. Ca nous a fait bizarre. Je sais qu’Alex Ferguson a longtemps hésité avant d’autoriser sa rénovation. »

« Je me documente sur l’histoire du club. J’ai regardé des DVD et je feuillette les livres historiques. La clef de ma réussite tient à ce rapport au patrimoine de United. Quand tu regardes les images des "Busby Babes", ça te donne encore plus de responsabilités. Tu es un de leurs légataires. Jamais je n’avais connu un club possédant une telle identité. Chaque fois que je monte dans l’avion et que je vois Sir Bobby Charlton s’installer à l’avant, je repense à ce crash et je me dis que cet homme est un survivant. Quand je lui serre la main, j’ai des frissons. »

« Dans notre vestiaire, il y a deux photos. Une de l’équipe célébrant le titre 2007-2008 et une des "Busby Babes". Celle-là, je m’en suis procuré un exemplaire et je l’ai accrochée à la maison. A nous de poursuivre leur travail. Vaincre est la plus belle des façons de leur rendre hommage. Et puis, ici, il y a aussi les numéros 7 célèbres : Best, Cantona, Beckham, Ronaldo. Quand je suis arrivé au club, en janvier 2006, on venait d’enterrer George Best. On est tous allé à l’église pour une cérémonie souvenir, et là, j’ai vu la ferveur populaire. »

Les copains de vestiaire

« Je suis souvent avec Ronaldo et Tevez. Avec Cristiano, ça a collé tout de suite. Puis est arrivé Carlos Tevez, qui s’est vite senti à l’aise avec nous. Au trio, il faut ajouter le Coréen Ji-Sung Park. Lui, c’est mon voisin dans le vestiaire d’Old Trafford. De l’autre côté, c’est Tevez. Moi, je suis un grand chambreur ! J’arrive à communiquer avec tout le monde. Même le coach y a droit. Lui, il me vanne en français. Il connaît quelques mots. Mais c’est un peu plus difficile pour lui de faire des phrases. »

Un tour en ville

« Je ne savais rien et je ne sais pas grand chose aujourd’hui de la ville de Manchester. Quand je suis arrivé, je me suis fait reprendre de volée par les médias anglais parce que j’avais expliqué, lors d’un rassemblement de l’équipe de France, que mes 6 premiers mois avaient été délicats. Et les Anglais avaient repris en écrivant que j’avais déclaré que la bouffe était dégueulasse, que le temps était pourri. Le soleil, ici, il est au club. Et dans l’esprit des gens de Manchester. Quand je sors en famille pour faire des courses au centre commercial, je me sens à l’aise. Bien plus qu’à Paris. »

« Je vis comme un banlieusard à Manchester, et je suis plutôt casanier. J’ai d’abord emménagé en ville, mais je n’y suis resté que trois mois. Direction la campagne. On s’est installés à quarante-cinq minutes du centre. Dans un village tranquille où vivent pas mal de joueurs. A Manchester, ça chambre beaucoup. L’autre jour, je prenais de l’essence et une maman et sa fille sont venues gentiment me faire remarquer que City était devant nous au classement. J’ai répondu en riant que la Premier League, ce n’était pas un sprint mais une course de fond. Et on s’est marrés ensemble. »

Manchester… City

« On parle assez peu de City dans le vestiaire. Je n’ai entendu personne dire : "Oh, là, là ! Désormais c’est eux le club le plus riche du monde." Nous, on connaît notre histoire. On a quelque chose de plus. Pour moi, City, c’est particulier ; ce fut mon premier match en Premier League. J’avais été salement secoué. C’est mon moment le plus fort depuis que je suis arrivé. Je me souviens avoir pris un coup de crampon dans l’œil. On avait perdu 3-1. »

« Ferguson m’avait sorti à la mi-temps en me disant : "Patrice, regarde le match et apprend le foot anglais." Quand je suis rentré à la maison le soir, c’était dur. Mais c’était fort. En tout cas, c’est un vrai derby. Surtout pour les fans. City, ils sont à cinq minutes de notre terrain d’entraînement. On se respire… »

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