À la veille de souffler sa vingt-cinquième bougie, Ferguson se retrouve encensé de toute part, et les louanges pleuvent sur un homme qui n'a désormais plus rien à prouver. Mais cela n'a pas toujours été le cas. Des années de règne équivalent forcément à des années de construction et de gestion proche de la perfection. Et pourtant, si Ferguson n'est parti de rien, la magie n'a pas opéré dès le premier jour, et des années entières ont été nécessaires pour faire décoller la fusée United.


C'est sur ces premières années, qui mêlaient doutes et certitudes, que nous posons un œil avisé aujourd'hui, avec beaucoup de nostalgie. Dès les premiers pas posés sur le terrain d'entraînement de The Cliff, Alex savait deux choses : que le plongeoir duquel il s'apprêtait à s'élancer était extrêmement haut, et que les risques étaient nombreux. Mais il savait aussi, et surtout, qu'il avait hâte de faire ce saut là.

1986 – 1992 : Des débuts compliqués :

C'est après une première défaite sur la pelouse d'Oxford United qu'il se rend compte de la discipline qu'il se doit d'imposer à l'équipe. Les anciennes habitudes sont bannies pour laisser place à un encadrement beaucoup plus strict, qui mise sur un développement plus sain des joueurs. Il faut cependant attendre trois matchs avant de voir la première victoire du United de Ferguson. Un succès 1-0 à Old Trafford face aux Queens Park Rangers. Malheureusement, une bonne nouvelle s'accompagne d'une mauvaise, puisqu'il apprend dans le même temps que sa mère, alors atteinte d'un cancer, n'a plus que quelques jours à vivre.

Est-ce que cela l'a profondément affecté d'un point de vue personnel ? Oui. Est-ce que cela a nui à son travail en tant qu'entraîneur de Manchester United ? Non. Pour sa première saison, il permet à l'équipe de remonter la pente et de finir à une honorable onzième place. Non pas que ce soit une position très flatteuse, mais au vu des difficultés rencontrées en début d'année, il s'agit presque là d'un miracle. Mieux encore, Ferguson s'offre le luxe de battre Liverpool, les futurs champions, à deux reprises, ainsi qu'Arsenal. Il y a du mieux dans le jeu, et tout le potentiel entrevu chez les joueurs sous Atkinson commence à se dévoiler.

Cependant, bien conscient du ménage qu'il a à effectuer dans le groupe, il se débarrasse des joueurs qui ne collent pas avec son éthique de travail. Malgré le manque de fonds, ces quelques ventes et l'argent récolté par le départ de Mark Hugues à Barcelone renflouent les caisses. L'été 87 est donc un tournant décisif, qui lui permet d'enrôler Brian McClair, Steve Bruce, et Viv Anderson. Réputé pour son flair légendaire et ses recrutements intelligents, l'impact de ces nouveaux joueurs se fait immédiatement ressentir. McClair devient le premier joueur à inscrire plus de vingt buts sur une saison depuis George Best, et il permet à United de terminer la saison à la deuxième place, derrière, encore une fois, Liverpool. C'est d'ailleurs à la suite d'un match fou à Anfield (3-3) que son obsession envers le club de la Mersey s'intensifie. Ce jour là, remonté contre les arbitres, il accuse Liverpool de bénéficier d'un traitement de faveur. Il se fait alors la promesse de faire chuter l'équipe de Dalglish, et cette idée devient sa priorité absolue en tant que manager. Mais malgré la deuxième place, United est encore loin d'avoir une forme de champion, et le travail de Ferguson se veut de toute évidence plus intéressant sur le long terme que sur le court terme. C'est ce qui le différencie grandement de Ron Atkinson, ce dernier s'appuyant sur des joueurs d'expérience, tandis que l'écossais n'hésite pas à rajeunir son groupe et à développer de manière conséquente les équipes de jeunes.

Cette mentalité fait de lui un homme qui acquiert toute la confiance et la sympathie de Matt Busby et de Bobby Charlton, qui deviennent de véritables soutiens à l'heure où le public se montre de plus en plus exigeant. Confiant à Brian Kidd le développement des jeunes, il obtient l'appui financier de Martin Edwards pour engager des scouts supplémentaires, chargés de ratisser le pays à la recherche des talents les plus prometteurs. Parmi eux, il y a le petit Ryan Wilson, âgé de seulement treize ans, et évoluant alors à Manchester City. Ironiquement, ce n'est pas un scout mais bien le steward du camp d'entraînement qui informe Ferguson de ce jeune gallois qui semble passionner les foules. Le supervisant durant de longs mois, il finit par le convaincre de rejoindre United, lui et son pied gauche en or. Cet homme deviendra Ryan Giggs, le symbole de la jeunesse mancunienne et l'icône d'un travail de longue haleine, destiné à promouvoir la formation et l'intégration des jeunes joueurs.

Entre temps, Ferguson poursuit toujours son désir de renforcer son équipe, et profite du mercato de 1988 pour ramener Mark Hugues au club et approcher Paul Gascoigne. Il reparle encore aujourd'hui de ces négociations avec l'anglais comme de l'une de ses plus grandes déceptions en tant que manager. Alors que Gascoigne lui avait clairement signifié qu'il était prêt à rejoindre United, il apprend lors de ses vacances à Malte qu'il a finalement opté pour le club londonien de Tottenham. Comme un signe avant coureur d'une saison qui s'annonce compliquée… Le club ne fait pas mieux qu'une onzième place cette année là, ce qui est un frein énorme depuis la prise en charge de Ferguson. Lors du mois de décembre, frustré, il fait même appel à une équipe très rajeunie, donnant leur chance à des jeunes de la réserve. Le message est donc clair : personne n'est à l'abri et une régularité dans les performances est exigée, plus que jamais. C'est ce qui conduit l'été suivant à voir des joueurs cadres quitter le navire, comme Gordon Strachan, Norman Whiteside et Paul McGrath. Ce ne sont donc pas moins de huit millions de livres qui sont à la disposition de Ferguson pour le recrutement. Paul Ince et Gary Pallister sont les recrues majeures, sur qui le coach mise beaucoup d'espoirs.

Le désaveu des supporters atteint son paroxysme au début de la saison suivante, alors que United est dans une forme inquiétante. De lourdes défaites face à Milwall et Manchester City (1-5) accentuent la colère des fans, qui réclament le départ du coach écossais. Martin Edwards, qui avait jusque là toujours exprimé son soutient envers Ferguson, se voit contraint de douter, tant l'équipe semble dans une position encore plus alarmante que sous Atkinson. C'est un match du troisième tour de la FA Cup qui semble prédéterminant pour son avenir au club. Un déplacement à Nottingham Forrest, que beaucoup voient comme un aller simple vers l'enfer pour les Mancuniens. Privé de nombreux cadres, Alex fait confiance à Mark Robins, qui inscrit le but que beaucoup considèrent comme celui qui a sauvé le poste d'entraîneur de l'écossais. En début de seconde période, c'est un autre Mark, Hugues, qui adresse un centre de l'extérieur somptueux, que Robins reprend alors de la tête, permettant à United de franchir cet obstacle. Que se serait-il passé si Nottingham avait gagné ce jour là ? Les Red Devils seraient sûrement descendus en D2 et Ferguson se serait exilé en Écosse, parmi tous les entraîneurs qui n'ont jamais réussi à connaître le succès en dehors de leur pays d'origine. Peu importe, Robins changeait l'histoire, et grâce à d'autres buts importants, il permettait à United de prendre la direction de Wembley, pour une finale face à Crystal Palace.

Attendant un premier titre depuis cinq ans, les supporters affluaient fièrement dans la ville de Londres. Le match, bien que prolifique en buts (3-3) laissait les deux équipes dos à dos, contraintes de jouer un replay. Et Ferguson prenait alors un risque immense, contre la volonté de Kidd, son assistant. Ce risque était de laisser sur le banc le gardien titulaire, Leighton, alors en méforme, pour confier la tâche à Les Sealey. Auteur d'un match décisif (notamment un arrêt de grande classe sur un coup-franc), il assura une solidité défensive que Lee Martin bonifia en inscrivant le seul but du match. C'était alors le premier trophée d'une longue série, qui permettait d'oublier la modeste treizième place acquise en championnat et, par dessus tout, qui redonnait du crédit à Ferguson.

L'année suivante, les progrès sont colossaux, et Martin Edwards admet même qu'il avait la sensation de voir naître sous ses yeux une des plus grandes équipes de l'histoire du football anglais. Denis Irwin est l'une des dernières pièces du puzzle, qui se greffe à l'effectif. Emmenés par un McClair et un Hugues en forme olympique, les Mancuniens enchaînent les victoires en Europe, pour la Coupe des vainqueurs de coupe. S'imposant en finale face au FC Barcelone grâce à un doublé de Hugues, l'impression de changement se ressent à travers toute l'Angleterre, où une révolution est en marche. Le Liverpool de Dalglish est sur le déclin, et si ce n'est pas United mais les Gunners de Graham qui font chuter les Reds, un virage semble se dessiner pour le football anglais. Et quel virage, quand nous savons aujourd'hui que Liverpool ne gagnera plus de championnat pendant les vingt années qui suivirent, au moins. Finissant à une correcte sixième place, la véritable déception pour les hommes de Ferguson est une finale de Coupe de la ligue, perdue au profit de Sheffield Wednesday, alors entraîné par Ron Atkinson.

La saison 1991/1992 semble être la bonne pour United, qui se met à rêver d'un titre qui les fuit depuis 1969. Après douze matchs sans défaites, durant lesquels se révèle par ailleurs le jeune Giggs, l'équipe craque à partir du mois de février, ne récoltant que cinq victoires en quatre mois. Une couronne qui leur tendait les bras s'échappe alors et se pose sur la tête des rivaux de Leeds, guidés par Gordon Strachan, l'ex-Mancunien, et Eric Cantona, celui qui le deviendra. Les fans se contentent donc d'une Coupe de la ligue, acquise aux dépends de Nottingham Forest. Si la déception est cruelle, tant le titre était plus proche que jamais, le fait que Ferguson ait permis au club de récolter trois trophées en trois années ne donne que de l'espoir pour la suite.

Et c'est encore grâce à son audace et son flair de tous les instants qu'il fait le pas décisif, qui permettra à l'institution de regagner définitivement toute sa splendeur. Ce pas là, c'est une rencontre avec un homme qui changera le club, le prénommé Eric, futur roi d'un peuple. Dans les derniers mètres d'un plongeon incertain, Alex trouve la méthode parfaite pour une immersion de toute beauté, dans une eau rouge sang, non pas d'atrocités, mais de gloires. Mais ceci, c'est une autre histoire.


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