Il y a 25 ans jour pour jour, Sir Alex Ferguson reprenait officiellement les reines du club à Atkinson. Et durant toutes ces années, s''il fallait citer le joueur qui a été le plus important dans sa carrière, Eric Cantona serait très certainement en tête de liste. Le français, arrivé au club en novembre 1992, a été l'élément déclencheur d'une domination sur le championnat anglais qui ne s'est plus estompée depuis.


Après avoir vu Leeds s'emparer du titre, Ferguson cherchait à recruter le joueur qui ferait définitivement pencher la balance en sa faveur. Longtemps sur les traces d'Alan Shearer, c'est finalement après une discussion avec Gérard Houiller qu'il se décide à enrôler Cantona. Un transfert qui laissa Leeds orphelin, alors 17ème la saison suivante, tandis que cela marquait le début d'une ère dorée pour United.

1992 – 1997 : L'ascension vers les sommets :

Si une certaine assisse défensive avait déjà été trouvée la saison précédente, avec le recrutement de Peter Schmeichel et la mise en place d'une charnière centrale composée de Gary Pallister et Steve Bruce, il manquait encore un brin de caractère à cette équipe pour aller chercher le titre. La saison 1992/1993 démarrait par ailleurs sur une série de matchs inquiétants, qui laissait penser que le club avait laissé échapper sa plus belle chance.

C'est alors qu’à la fin du mois de novembre, Ferguson réalise l'un des meilleurs coups de toute sa carrière. Howard Willkinson, à l'époque manager de Leeds, appelle le club pour se renseigner sur Denis Irwin. L'entraîneur écossais profite donc de cet échange pour discuter de Cantona. Wilkinson est clair, si une offre satisfaisante est proposée, il le libérerait. En réalité, il n'avait pas vraiment le choix puisque Cantona avait signifié à son agent qu'il ne voulait plus jouer pour Leeds. Car si le français avait eu un impact conséquent sur le titre glané par les Peacoks, ses relations avec le manager étaient telles qu'il était devenu indésirable.

Une offre d'un million de Livres est alors transmise par Martin Edwards qui permit au français de fouler la pelouse d'Old Trafford qu'il imprégna immédiatement de toute sa classe. Les bienfaits de son recrutement se veulent instantanés, que ce soit sur le terrain ou en dehors. Lors d'un derby face à City, pour son premier match, sa rentrée revigore toute l'équipe et il permet au club de s'imposer pour ce qui est le début d'une longue série de succès.

C'est toute une philosophie qui semble se mettre en place, avec des joueurs aussi déterminés que Pallister, Bruce, Robson, Hughes, et Cantona. La patte Ferguson se retrouve à travers cette équipe solide, qui acquiert une régularité qui faisait défaut auparavant. Eric réinvente même les méthodes d'entraînement, réclamant à Ferguson une demi-heure supplémentaire lors des séances. Un rallongement auquel prendront part de plus en plus de joueurs, dont le jeune David Beckham qui baigne dans cet esprit de gagnants dès ses premières heures.

C'est au mois d'avril 1993 que se déroule le match qui a tout changé pour ce groupe de joueurs. Lors d'une réception de Sheffield Wednesday à Old Trafford, les Mancuniens n'ont d'autre choix que de s'imposer pour continuer le duel à distance avec Aston Villa. Le match est fermé et le score est toujours de 0-0 après 75 minutes de jeu. Quand Chris Waddle provoque un penalty, tous les espoirs semblent alors s'envoler. Avec seulement quelques minutes à jouer et un retard d'une longueur au tableau d'affichage, United jette toutes ses forces dans la bataille, dans une tension que seuls pourraient décrire les supporters présents au stade ce jour-là. Steve Bruce marque alors à deux reprises de la tête, inscrivant le but de la victoire à la 96ème minute. Brian Kidd exulte, à genoux sur la pelouse d'Old Trafford, tandis que le commentateur ne s'y trompe pas : "Alex Ferguson is almost celebrating the championship". Trois semaines plus tard, le premier titre de champion d'Angleterre depuis 1969 est remporté, et ce pour la première saison au club d'Eric Cantona. Outre d'être le début d'une longue lignée de trophées, ce match représente surtout le début d'une mentalité propre aux Fergie Babes. Celle d'avoir la capacité incroyable de se sortir de situations désespérées, dont le point culminant sera un certain match contre le Bayern Munich quelques années plus tard.

Conscient de devoir préparer la succession de Bryan Robson, dont la forme est de plus en plus incertaine, Ferguson jette son dévolu sur Roy Keane, qui deviendra l'une des pièces maîtresses du club pour plus d'une décennie. Le mélange entre jeunes joueurs et joueurs d'expérience semble atteindre son paroxysme, Giggs et Kanchelskis représentant au mieux cette jeune génération montante, tandis que les Butt, Neville’s, Scholes, et Beckham font eux aussi leurs premières apparitions. C'est cette richesse d'effectif qui permet au club d'enchaîner avec un doublé, le premier de son histoire, et le début d'une longue tradition du turn-over imposé par Ferguson. Le championnat n'est qu'une formalité cette année là, tandis que la coupe est gagnée grâce à un large succès contre Chelsea (4-0). Et si l'équipe connaît quelques soucis de comportement au cours de la saison, avec de nombreuses expulsions, il y a vraisemblablement plus de bénéfices que de méfaits à tirer d'une telle hargne qui ressort de chacun des joueurs. Le triplé n'est d'ailleurs pas loin, Ron Atkinson contrecarrant à nouveau les plans de Ferguson en ramenant la Coupe de la ligue du côté des Villans.

Cette année est aussi marquée par une tragédie, la disparation de Sir Matt Busby. Alex Ferguson lui aura au moins permis de voir la renaissance de son club de cœur, qui a hérité et utilise encore aujourd'hui ses méthodes, impérissables au fil des années. Un écossais a succédé à un autre, et ils représentent à eux deux le visage d'un club qui porte leurs traits jusque dans ses fondements les plus purs.

Si United s'implante donc comme leader incontesté du football anglais, les nuits européennes s'avèrent plus compliquées, et Ferguson mettra beaucoup plus de temps à aller chercher un trophée en Ligue des champions, mettant plusieurs années à trouver la bonne recette.

Leader incontesté mais pourtant contestable, dès la saison 1994/1995, la seule de la période Cantona où les Red Devils ne gagneront aucuns titres, puisque le Blackburn de Dalglish finira un point devant au classement et qu'une finale de FA Cup sera perdue face à Everton (0-1). Difficile de ne pas mettre en relation cet échec sportif avec l'exclusion de plusieurs mois du français suite à son kung fu kick envers un supporter de Crystal Palace.

Dans cette affaire, Ferguson fait à nouveau preuve d'un sens de la gestion sans précédent. À aucun moment il n'abandonne Eric, il le défend sans relâche dans la presse et passe le voir tous les jours à son domicile, n'abordant jamais cet incident. Il s'intéresse et s'occupe de lui avec encore plus d'attention que n'importe quel joueur, et ce même s'il est indisponible pour près d'un an. Attention paternel qu'aucun autre entraîneur n'aurait très certainement pris la peine de faire, et qui dévoile au grand jour qu'en plus de ses qualités de tacticien, son succès se base en grande partie sur ses qualités humaines.

L'été 95 est un nouveau tournant, Ferguson se sépare de Hughes (Chelsea), Kanchelskis (Everton), et Ince (Inter). Ses décisions inquiètent beaucoup les dirigeants, qui se demandent si l'écossais est encore apte à faire les bons choix pour maintenir son club au plus haut niveau. Ce ne sont pas les seuls à douter, le commentateur Alan Hansen devenant célèbre pour avoir prononcé la phrase suivante : "Tu ne gagneras rien avec des enfants", à la suite d'une défaite contre Aston Villa lors de la première journée du championnat. Phrase qu'il regrette probablement encore aujourd'hui d'avoir prononcé puisque cette année là, avec l'apport des jeunes joueurs, le club a remporté son deuxième doublé en trois saisons, Ferguson glanant par la même occasion son huitième trophée majeur à la tête de United. L'achat d'Andy Cole pour remplacer Mark Hugues s'avère déterminant et son duo avec Cantona cette saison fait des étincelles, puisqu'ils inscrivent 42 buts à eux deux.

Le style de jeu de Ferguson est encore en transition, il ne cesse de s'adapter pour devenir plus productif et pour étendre sa domination à l'Europe. Ayant possédé au début des années 90 une équipe solide mais trop peu exotique pour s'affirmer en dehors de l'Angleterre, il met en place un système plus maîtrisé, qui mêle le physique et la technique, afin de conquérir la plus prestigieuse des compétitions. Il affirmera par ailleurs très souvent que son modèle est Marcello Lippi, alors entraîneur de la Juventus, la référence même en Europe. Le tournant décisif, qui déterminera Ferguson à réajuster ses idées, est une demi-finale de ligue des champions perdue au profit de Dortmund en 1997. Ces réajustements contribueront deux ans plus tard à permettre au club d'acquérir sa première C1 depuis trente et un an. Il utilisera la même méthode après la claque subie face à Milan en 2007, qui s'avérera payante elle aussi.

Toujours est-il que cette saison 95/96 est très certainement l'apogée du King Cantona, qui anéanti tous les espoirs du Newcastle de Kevin Keegan en inscrivant l'unique but du match à St James Park (les Magpies finiront deuxième à cinq points de United). Et il rééditera une telle performance lors de la finale de la FA Cup à Wembley, devenant définitivement le symbole de cette ascension phénoménale, se montrant décisif lors de chaque grand rendez-vous.

Un autre français aurait d'ailleurs pu rejoindre les rangs Mancuniens à la fin de cette saison, en la personne de Zinedine Zidane. Mais Ferguson se fera finalement doubler par la Juventus dans les négociations, à qui il n'a donc pas que l'Europe à envier. À défaut de pouvoir recruter le Bordelais, Ferguson flaire à nouveau un bon coup, achetant Ole Gunnar Solskajer pour une poignée de Livres, qui formera un duo des plus complémentaires avec Cantona.

L'année 1996/1997 voit la révélation définitive de David Beckham, qui devient un leader de cette équipe et qui ne cesse de conquérir le cœur des supporters. C'est d'ailleurs toute la jeunesse mancunienne qui semble arriver à maturité, enfonçant encore un peu plus Hansen dans son erreur. Même une humiliation subie contre Newcastle (0-5) ne suffira pas à perturber ce groupe, qui ne laissera filer à aucun moment le titre, récoltant une quatrième couronne en cinq saisons.

Ce succès marquera le départ avec les honneurs du King, qui laissera son numéro vacant à la nouvelle idole du peuple. Ferguson regarde très certainement ces cinq saisons passées à diriger Eric avec beaucoup d'admiration, tant le français a permis d'apporter une touche décisive au club, qui a posé les bases de deux décennies de succès. Et si la tristesse était au rendez-vous lors de l'annonce de sa retraite, ce qui attendait les Mancuniens était au moins aussi enthousiasmant que ce qu'ils venaient de vivre à ses côtés.

Eric Cantona a marqué l'histoire d'un entraîneur, d'un homme et d'un père, s'imprégnant de son humanisme et de ses qualités de meneur d'hommes pour refléter ses désirs sur la pelouse, avec une élégance inégalée. Et nous autres, nous avons pu admirer ce duo avec respect, chantant encore les mérites de l'un et continuant d'applaudir l'autre avec toujours la même fierté solennelle.

Cette première vague de succès acquise grâce à ce binôme, et bien d'autres, ne fut heureusement que la première d'une longue série. Les remous causés par la gestion de Ferguson continuant encore aujourd'hui de se déferler sur les adversaires, avec cette même puissance et cette même détermination caractéristiques. Et ce sont ces vagues là que nous nous remémorerons dans la deuxième partie de ce dossier consacré à la figure la plus emblématique de l'histoire du club.


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