Alors que l'on sait à présent que Sir Alex Ferguson ne sera plus l'entraîneur de Manchester United d'ici 2011, le Times Online nous offre une belle interview de l'homme qui a fait le succès du club.


Parfois, ce sont les moments les plus insignifiants qui révèle la magnificence dans toute sa splendeur. Alors que John Terry était toujours le nez dans le gazon, alors que ses coéquipiers étaient encore en train de célébrer, Ryan Giggs a pris la tête de Cristiano Ronaldo entre ses mains et lui a dit : "Profites-en, et fais en sorte que ce ne soit pas ta dernière." "A 23 ans, avec tout ce talent, Cristiano aura plus de nuits comme celle-là", a déclaré ensuite Giggsy.

Dix minutes après la fin de la saison 2007-2008, après la concrétisation de ce superbe rêve qui nous voyait champions d'Angleterre et d'Europe, vint le premier speech de 2008-2009.

Sir Alex Ferguson n'eut même pas besoin d'ouvrir la bouche. Rarement un club a été autant à l'image de son entraîneur. L'Ecossais a atteint ce nirvana recherché par tant de personnes, un niveau où il a tant d'influence qu'il n'a même pas besoin d'être là pour être sûr que le travail sera fait.

C'est ce qu'on appelle, l'héritage. Et c'est pourquoi vendredi, les doigts autour d'une coupe de champagne, Ferguson révéla quand et comment son aventure se terminerait. Il ne prévoit pas une autre retraite qui ne viendra pas, comme en 2001-2002, mais la vraie cette fois, le grand départ.

Ferguson, qui aura 67 ans le 31 décembre, vient d'annoncer qu'il n'entraînerait plus quand il aura 70 ans. Au mieux, il lui reste donc trois saisons. Pour éviter qu'il ne nous arrive la même chose qu'en 2002, année où les joueurs, troublés par cette annonce, n'avaient pu développer leur jeu à son meilleur niveau, il s'en ira peut être même à la fin de la saison 2010. Il aura alors entraîné pendant 24 ans. Comme Sir Matt Busby.

Régénéré par une injection de botox composée à moitié de championnat anglais et à moitié de Coupe d'Europe, Ferguson n'a jamais ressemblé à quelqu'un rattrapé par son âge, mais la réalité est qu'il l'est quand même un peu. Mais il n'y a pas que les jeunes qui sont sans peur. Alors, avant la bataille de Luzhniki et pendant cette bataille, il était le plus relax des entraîneurs, et rempli d'audace, il a pris le meilleur sur le "débutant" Avram Grant.

Dans la beauté du triomphe, il était étincelant, racontant des blagues sur les journalistes et sur une ville qu'il aura tant tourmenté toutes ces années, nos amis de Liverpool. Pendant la fête de ses joueurs à Moscou, il a été trop occupé à parler avec ses amis et à jouer avec ses petits-enfants pour boire plus de deux verres de vin rouge, une de ses passions. Il a certes été déçu de ne trouver que du caviar rouge au buffet, mais peu importe, Andrei Kanchelskis est venu lui offrir le vrai, "venu tout droit de la Mer Caspienne"!

Puis, Ferguson est revenu parler de ses ultimes défis. Rendre United si grand que même les plus grands n'oseront pas venir chercher des joueurs comme Ronaldo. Aider Rooney à atteindre le niveau atteint par le Portugais cette saison. Et d'autres...

Sir Alex, votre prochain anniversaire à marquer d'une pierre blanche, ce sera le 70e! Serez-vous encore entraîneur de Manchester United alors?

Non. Je ne serai plus là quand j'aurai 70 ans. J'entraînerai ici encore 3 ans, au mieux.

Pourquoi?

Vous devez penser à prendre du temps pour vous. Ma femme devient plus âgée, je dois y penser aussi. Elle mérite plus de mon temps. En vieillissant, on culpabilise de plus en plus à ce sujet.

Quand vous avez pris la décision de partir au terme de la saison 2001-2002, Lady Cathy (sa femme, NDLR) a été une des personnes qui vous a convaincu de rester. Elle a même dit qu'elle ne voulait pas vous voir traîner à la maison!

Et oui. Mais elle aimerait bien maintenant! La grande peur, c'est que faire ensuite? Il y a trop d'exemples de gens qui partent à la retraite et se retrouvent entre quatre planches peu après. Parce qu'on vous enlève votre raison de vivre, ce qui vous rend vivant. Je me souviens du 65e anniversaire de mon père, le personnel des chantiers navals de Fairfield ont organisé un dîner en son honneur, avec 400 personnes présentes. C'était une grande soirée pour lui. J'étais à Aberdeen et je suis venu le vendredi. La semaine suivante, ma mère me téléphone : 'Ton père va passer un scanner, il ressent une douleur dans la poitrine.' Je me suis dit, 'C'est l'émotion.' C'était le cancer. Une semaine.

Donc ce sera dur de partir...

C'est ce que j'explique. C'est pour cela que je ne peux pas prendre ma retraite, en tout cas pas pour le moment.

En 2001-2002, il y a eu des rumeurs comme quoi vous prendriez un rôle d'ambassadeur du club. Est-ce toujours une possibilité?

On prend pas mal d'ambassadeurs au club, comme Bryan Robson. Sir Bobby Charlton en est un autre exemple. C'est une possibilité pour moi. Bryan et Bobby travaillent 40 jours par an. Et j'ai un contrat avec Nike, qui me prend aussi un peu de temps. J'aimerais aussi voyager dans des endroits que je n'ai jamais visités, aller aux Etats-Unis et peut-être y passer trois ou quatre mois.

Mais vous ne pouvez faire cela qu'une fois. Vous pouvez aller en Australie une fois, mais vous ne pouvez pas y aller tous les ans. Donc vous vous prenez à y penser. Et que dire de ces matins où vous vous réveillerez à 6 heures du matin et allez vous lever de votre lit, jusqu'à ce que vous vous disiez : 'Oh, mais je suis à la retraite...' C'est le côté difficile. Et vous espérez y survivre.

Tous les ans, des copains de mon équipe quand j'étais gosse, Hampden Road, viennent à Manchester. Chacun d'eux est marié depuis plus de 40 ans. Un ou deux sont morts, mais il y en a 11 ou 12 qui viennent toujours. J'ai un ami, Duncan, avec qui j'étais à la crèche quand j'avais 4 ans, ça fait plus de 60 ans qu'on est potes. Il a pris sa retraite à 50 ans et passe six mois sur douze à voyager. Il a acheté une maison en Floride et sa femme cherche sur le Net. Ils vont à Chypre, en Australie, au Canada. Il est toujours en forme, joue au golf, voit ses petits-enfants. Je pense que je peux y arriver aussi. Manchester United fera encore partie de ma vie. J'ai de bonnes relations, je ne serai pas viré, beaucoup de choses seront décidées par moi entre autres et ça convient à David Gill.

Pouvez-vous garder Cristiano Ronaldo?

Ronaldo ne bougera pas d'ici, au moins durant les deux prochaines années. Il sait ce qui est le mieux pour lui. Quand il aura 25 ou 26 ans, il aura peut-être d'autres envies et voudra autre chose. Je ne serai pas contre sa décision. Ce qu'on doit faire, c'est essayer d'être encore plus grands. On ne peut pas se reposer sur ce qui est arrivé à Moscou, on doit être encore plus grands. C'est comme ça.

Vous vous souvenez de ce film, 'I've Got Email'? Avec, euh, Meg Ryan. Le tout petit magasin au coin de la rue est avalé par le gros, possédé par Tom Hanks, et elle ne peut rien y faire. Dans la société, ça ne cesse d'arriver depuis 30 ou 40 ans. Et nous, on ne veut pas être le petit magasin. Je préfère crever plutôt que penser que le Real Madrid peut venir tranquillement nous prendre nos joueurs, sans demander notre avis. Oui, ils ont sollicité Ruud van Nistelrooy et l'agent de Ruud les a sollicités. C'était un mariage fait en enfer. A la minute ou Van Nistelrooy a signé son nouveau contrat avec nous, c'était déjà certain qu'il partait. Son but, c'était le Real. On a voulu qu'il parte. Même chose pour Beckham, on voulait qu'il parte. Pour Ronaldo, on ne le veut pas.

Comment voulez-vous rendre United plus grand? Agrandir le stade en fait partie?

J'en parle sans cesse à David Gill. Je sais ce qu'on peut faire. Dans le Main Stand, ou derrière les buts, on construit une structure d'acier en haut... Pas vrai? On ne peut pas construire derrière parce qu'il y a la ligne de train, donc on devrait construire plus haut, comme je viens de vous l'expliquer. Ou alors vous, les journalistes, on vous met dehors pour gagner 200 ou 300 sièges...

Construire à un seul coin du Main Stand nous donnerait 6500 places de plus et nous amenerait à une capacité de 83000. On pourrait vendre 100000 tickets pour nos matchs mais ce n'est pas possible d'un point de vue architectural. Au moins, si on construit de la façon que je vous expose, ça rendrait la façade du stade symétrique tout le long d'une part, et nous égalerions le Real Madrid en termes de capacité, nous rendant plus grands qu'aucun club en Angleterre.

Comment encore le club peut-il grandir?

Au niveau commercial, on a déjà fait pas mal. David Gill a construit une belle équipe autour de lui. Mais ce ne sont pas mes affaires. Pour moi, l'argent que fait le club n'a pas d'importance. Moi, je veux jouer des finales européennes. Si quelqu'un comme Ronaldo joue des finales européennes chaque année, c'est sûr qu'il n'ira nulle part.

Est-ce que ça vous inquiète que Wayne Rooney puisse se sentir lésé par l'explosion de Ronaldo? Quand il a signé à United, il était supposé devenir LA star.

Ils sont de très bons amis. Je ne crois pas que ça affecte le garçon. Wayne est un gagnant. Ca ne le touche pas du tout. Il ne court pas après la célébrité. Sa petite amie est très bien dans ce sens elle aussi, elle est intelligente, elle reste sur terre.

Certains fans disent que Rooney est trop altruiste pour réussir, et qu'il gagnerait plus à jouer moins collectif.

Rooney n'est pas égoïste. C'est un gagnant qui est totalement dévoué à la cause. Il fait beaucoup de sacrifices, ça ne se voit peut-être pas sur ses performances individuelles, mais c'est un fantastique joueur d'équipe. Il jouera où vous voudrez. Il me l'a même dit la dernière fois : 'Boss, je peux jouer défenseur central.' Au moins une demi-douzaine de fois. 'J'ai joué défenseur central avec l'école.' 'Oui, mais là on joue contre Drogba', lui ai-je répondu...

C'est super d'avoir des joueurs pareils. J'ai eu Brian McClair, qui était de la même trempe. Vous pouviez dire à Chalky, 'Aujourd'hui tu joues arrière droit', et il disait 'Ca ne me surprend pas venant de vous'. Il était si nonchalant, si capable de tout, qu'il pouvait le faire. Et Rooney est pareil dans cet aspect : 'Pour l'équipe, pas de problème.' Il est magnifique.

Ses progrès n'ont pas été aussi fantastiques que ceux de Ronaldo.

Il est plus jeune de huit mois... Attendez un peu, vous pourriez être surpris. On sait qu'on doit bosser avec Wayne pour trouver sa vraie position sur le terrain. Parfois je ne suis plus trop sûr de savoir laquelle c'est. Il est excellent avec son aggressivité devant, mais en décrochant il offre tant d'options en terme d'équilibre et de vision du jeu. On doit se décider. Ca m'aiderait si on pouvait signer un autre joueur, un attaquant central.

Rooney et Carlos Tevez sont assez petits. Ce serait un attaquant plus grand?

Peut-être.

Vous pouvez nous dire qui? Un petit cadeau?

Non, ça ira.

A l'inverse de Ronaldo, c'est dur de s'imaginer Rooney quittant United.

Oui. C'est un gars de la région. Ok, pas vraiment de la région... On peut dire que Liverpool est une région à part...

Vous avez pris les bonnes décisions à Moscou, jouer en 4-4-2, utiliser Ronaldo en attaque pour troubler Michael Essien, faire les bons remplacements... Comment avez-vous pensé?

J'ai choisi l'équipe une semaine à l'avance. Le problème, ça a été les remplaçants, et j'ai du laisser Park Ji Sung de côté. Chelsea a pris trois joueurs d'expérience au milieu et je devais faire jouer Owen Hargreaves, pour le faire glisser au centre à un certain moment. Chelsea a dominé la seconde période et on a mis Hargreaves au centre. Je pense que ça a stoppé leurs ardeurs. C'était une belle soirée.

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