Interview : Sir Alex Ferguson

Superbe interview de Sir Alex Ferguson ou l’on apprend beaucoup de chose sur sa vision du football moderne, la préparation des matches de Manchester United et son plaisir de jouer la Ligue des Champions, son rêve d’enfant. On y découvre aussi le bon et le moins bon du métier d’entraîneur à Manchester United. A savourer !



Cela fait 25 ans que vous avez remporté votre premier trophée européen ; dans quelle mesure les ingrédients du succès ont-ils changé durant cette période ?

Eh bien, ils ont certainement changé en termes de soutien nécessaire, en particulier dans le domaine de la science sportive. L’information médicale, la nutrition et la préparation des joueurs pour les matches dans le football d’élite ont atteint un autre niveau. Ce qui n’a pas changé, dans notre cas, c’est que les joueurs s’entraînent toujours à un niveau élevé. Je n’ai jamais changé cette approche parce qu’à mon sens, ce que l’on fait sur le terrain d’entraînement se retrouve le jour du match. Nous n’avons jamais permis que les séances d’entraînement se déroulent dans la nonchalance. Pour moi, l’entraînement est une occasion pour les joueurs de s’exprimer en tant que professionnels. Les joueurs qui ne s’engagent pas à l’entraînement peuvent avoir une influence négative sur les autres et les choses peuvent dégénérer en pagaille. Dans ce cas là, vous n’êtes plus un club de football. Aussi bien à Aberdeen qu’à Manchester United nous avons toujours eu un formidable esprit d’équipe. De nos jours, avec l’augmentation du nombre de joueurs égocentriques, qui rend la tache la plus exigeante, la situation peut être difficile pour certain entraîneurs. L’intrusion des agents et des représentants de joueurs signifie que certains joueurs n’ont plus la même responsabilité personnelle que leurs homologues d’il y a 20 ou 30 ans. Par exemple, si l’on songe que dans le passé ils réservaient leur vacances eux mêmes, de nos jours ce n’est plus le cas. L’un des grands changements est l’augmentation du nombre de grandes vedettes dont on à besoin pour rivaliser au niveau de l’élite. Nous avons maintenant 18 nationalité au sein de notre club et c’est une évolution que je ne pouvais pas prévoir quand j’ai commencé le métier d’entraîneur.
Nous avons atteint une situation où j’ai deux recruteurs à plein temps au Brésil, un en Argentine, d’autre en Allemagne, en France, etc… J’ai des gens partout et cela montre à quel point la Premier League est devenue puissante et à quel point nous avons évolué en tant que club de football. Pour nous, c’est devenue une entreprise complexe. C’est bon pour moi car je suis en contact permanent avec différentes cultures et je trouve cela très intéressant du point de vue du métier d’entraîneur.


Du point de vue tactique, quels sont les principaux développements que vous avez observés en Ligue des Champions ces dix dernières années ?

La vitesse du jeu de transition est nettement plus élevée actuellement. En plus, les qualités des entraîneurs se sont améliorées et grâce à la science sportive et à la technologie, nous pouvons étudier nos adversaires de manière plus approfondie. Nous pouvons obtenir les temps de course et les statistiques de chaque joueur que nous affrontons. C’est une information phénoménale pour tout entraîneur. Nous examinons chaque détail et pouvons analyser tout ce que nous avons besoin de savoir. Cela a eu un impact sur les opérations tactiques. Mais la seule chose qui ne change jamais, c’est l’espoir de trouver un Cristiano Ronaldo ou un Lionel Messi, des joueurs qui sont à même de faire basculer un match par une action solitaire et de contrecarrer l’impact tactique de tous les entraîneurs. Tenter de bloquer des joueurs comme Messi est vraiment un défi parce qu’il y a toujours des moments durant le match où il se dirige vers vous avec la balle et vous vous dites : « oh non, voilà que ça recommence ». Tous les grands joueurs tels que Leo Messi ont une part de courage qui les place au dessus de tous les autres. Comme nous le disions plus tôt, l’un des plus grands changements intervenus dans le jeu ces dernières années est l’augmentation de la vitesse de la transition.

Beaucoup de contre attaques sont de nos jours différents, contrairement au vieux style italien classique des années 1960 quand la balle était transmise via une longue passe à un attaquant isolé qui pouvait aller au duel sur un vaste espace. Maintenant, les joueurs se portent à l’attaque à partir du milieu de terrain et de leurs position en défense, la contre attaque rapide étant l’affaire de quatre ou de cinq joueurs. Ce jeu de contre attaques en groupe a vraiment été un grand changement dans le jeu.


Quelles qualités faut-il posséder pour être un joueur de premier plan dans le football européen de nos jours ?

Il y a des joueurs tels que Kaka, Messi et Ronaldo dont le talent est inné. Mais ce n’est pas suffisant et l’aspect de l’entraînement revêt une très grande importance. Si vous regardez Cristiano Ronaldo, il s’entraîne seul après chaque séance d’entraînement collective et peu d’autres joueurs en font de même. En tant qu’entraîneur, nous consacrons une partie de l’entraînement à améliorer la touche de balle, le mouvement, les passes et la vitesse de jeu mais la qualité particulière, le détail dépend de la volonté du joueur de consentir des sacrifices après l’entraînement. Cela est la marque des grands joueurs. Si les grand talents ne comptent que sur leur habilité naturelle, ils n’auront pas ce petit plus. Ils doivent d’eux mêmes faire quelque chose de plus.


Comment situez vous la Ligue des Champions par rapport au Championnat d’Europe ou à la Coupe du Monde ?

Certains des tours finaux de la Coupe du Monde et même un ou deux tours finaux de l’EURO ont été un peu décevants. La dernière grande coupe du monde s’est déroulée en 1986 au Mexique quand l’Argentine a battu l’Allemagne 3 à 2 en finale. Il n’y a rien eu de comparable depuis. Certes, certains affirmeront que de nos jours, il est beaucoup plus difficile de jouer contre la plupart des équipes nationales mais quand vous regardez la Ligue des Champions, certains matches sont remplis de qualité et absolument fantastiques. Notre match contre Chelsea l’an dernier a été l’une des finales les plus disputées de la Ligue des Champions ces dernières années. Songez également au match nul 3 à 3 entre Liverpool et l’AC Milan, quel rebondissement, ou la partie entre Manchester United et le Bayern Munich en 1999. Il y a beaucoup de bons matches à la Coupe du Monde mais en général la qualité dans les grands matches de la Ligue des Champions est à mon sens supérieure.

Je n’ai assisté qu’à 2 finales de Coupe du Monde. Tout d’abord, en 1998, quand la France dévora le Bresil alors que toute la discussion tournait autour de Ronaldo et de l’impact qu’il avait sur l’équipe de Zagallo. Toutefois, je dois dire que j’ai trouvé la dernière finale, entre la France et l’Italie très captivante du point de vue tactique. Ce fut un match d’une très grande intensité et la décision de Marcello Lippi en deuxième mi temps d’aligner trois joueurs en ligne intermédiaire a été décisive car cela a stabilisé l’Italie à un moment où la France commençait à la dominer. En réponse à la question initiale, je pense que, dans l’ensemble, la Ligue des Champions est difficile à battre en termes de constance, de qualité et de rebondissements. La coupe du monde, bien sûr, se dispute tous les quatre ans et d’importants changements interviennent toujours avec le départ de nombreux joueurs et entraîneurs net la continuité en souffre.


Quelles sont les principales difficultés auxquelles un club doit faire face en étant engagé dans une compétition européenne ?

La principale difficulté est la préparation. Parce que nous sommes engagés dans une ligue nationale tellement intense, avec des exigences constantes et un excès de matches, nous avons un temps limité pour préparer les matches de la Ligue des Champions. Néanmoins, il n’y a pas de véritable handicap. Par exemple, je pense que les rapports avec l’arbitrage se sont améliorés, il y a un plus grand respect entre les arbitres et le joueurs. Les relations sont bonnes et il y a rarement de problème à cet égard. La seule chose qui parfois me préoccupe est l’entraînement la veille d’un match. Il y a trop de monde et nous ne pouvons pas établir le travail avec sérieux. Les caméras TV sont là et ne disparaissent qu’après 15 ou 20 minutes, c’est difficile car notre intimité n’est pas toujours garantie. Exemple, si on joue le samedi, le dimanche est jour de repos et s’il est prévu que nous jouions à l’extérieur le mardi en Ligue des Champions, nous n’avons que la séance du lundi sur le terrain adverse pour nous entraîner, et nous ne savons pas qui nous observe, qui décortique notre jeu. Il est difficile de résoudre ce problème.


Modifiez vous votre préparation pour les matches de Ligue des Champions ?

Nous n’effectuons pas de travail tactique sérieux, comme je l’ai dit, en raison des contraintes horaire set de l’endroit. Il s’agit bien plus de récupérer et de parler du match avec les joueurs. Nous nous referons toujours à l’heure anglaise quel que soit l’endroit où nous allons. Le jour du match est un peu allongé et la différence d’horaire n’aide pas. Les joueurs se lèvent à 10h environ et nous procédons à une séance dédiée au divertissement et à la musique. Puis il y a l’analyse vidéo avant le déjeuner. Ce n’est qu’ensuite que je sélectionne l’équipe pour le match de la soirée.


Êtes vous satisfait de la règle des buts marqués à l’extérieur ?

Je ne crois pas que nous nous soucions de cette question comme nous le faisions il y a vingt ans. En raison de la vitesse du jeu actuel et de l’efficacité de la contre-attaque, ce n’est pas un désavantage aussi grand de jouer à l’extérieur comme ce le fut jadis. Je ne m’inquiète pas trop de cela mais c’est bien de pouvoir marquer un but à l’extérieur. C’est sûr que c’est un avantage de marquer quand on n’est pas à la maison mais je ne ressens pas cette règle comme un poids gênant. Je ne pense pas qu’il faille la changer, parce que cette petite récompense dissuade les équipes de se replier dans leur propre surface de réparation durant la totalité d’un match à l’extérieur.


Ces dernières années en ligue des Champions, il y a eu une diminution du nombre de buts marqués sur coups francs. Est ce dû au hasard ou y a t-il des raisons à cela ?

La seule chose à laquelle je peux songer est le manque d’entraînement. Comme je l’ai déjà souligné, Cristiano Ronaldo s’entraîne en permanence à tirer des coups francs et, à l’évidence, c’est la raison pour laquelle il atteint presque toujours sa cible. Les gens disent que les ballons bougent beaucoup mais cela est le cas depuis ces deux dernières décennies tant et si bien que je ne pense pas que le ballon soit un facteur important. La distance entre le mur et le ballon n’est pas en cause parce que les arbitres effectuent en général leur travail. Non pour moi cela à davantage a voir avec l’entraînement et la chance.


Quelles sont les plus grandes différences entre la Premier League et la Ligue des Champions ?

La différence dans la préparation et l’ambiance dans les stades sont les deux principaux facteurs. Il suffit de songer au public à Old Trafford, au Nou Camp, à San Siro ou à Bernabeu un soir de Ligue des Champions et vous saurez de quoi je parle. Nous avions 84 000 spectateurs à Milan lors de notre dernier déplacement et l’atmosphère était électrique. De telles soirées vous donnent le frisson. C’est aussi une question de circonstances et de compétition particulières entre les cultures du football. La Premier League est fantastique et très concurrentielle mais la plupart des matches peuvent être peu passionnants. En Ligue des Champions, la plupart des matches sont captivants, pleins de rebondissements et de très haut niveau.
La formule actuelle est la meilleur solution pour cette lutte entre les meilleurs clubs européens.


Quel est le meilleur match que vous ayez jamais joué en Europe ?

Incontestablement la victoire 7 à 1 sur la Roma, à Old Trafford en quart de finale de la Ligue des Champions 2006-2007. Nous avons disputé un match contre une équipe italienne de haut niveau qui nous avait battus 2 à 1 au match aller. Notre performance en première mi-temps devant nos supporters à été extraordinaires. L’équipe de Spaletti à été traumatisée parce que notre jeu rapide à une touche de balle était exceptionnellement bon. Certains de nos buts, en particulier celui d’Alan Smith résulte d’un jeu fluide et rapide à une touche de balle. Assurément, ce match ressort du lot mais il y a aussi le match nul 3 à 3 à l’extérieur contre Barcelone (phase de poule, saison 1998-1999) qui aurait pu se terminer sur le score de 20 à 20 tellement les deux équipes ont attaquées. On ne peut pas oublier ces soirées magnifiques et particulières.


Quels sont les meilleurs et les pires aspects du métier d’entraîneurs dans les compétitions européennes ?

Le meilleur, incontestablement, est de se trouver à l’échelon le plus élevé avec tous les grands entraîneurs d’Europe, tels que Marcello Lippi, Ottmar Hitzfeld, Carlo Ancelotti . Bizarrement, je n’ai jamais affronté Fabio Capello ! Je me souviens de m’être trouvé à Turin et Signor Lippi était sur le banc, portant une veste de cuir noir et fumant un petit cigare, décontracté et calme alors que moi j’étais un entraîneur en survêtement, noyé sous la pluie torrentielle.
Vous mesurer aux plus grands entraîneurs et disputer des matches dans tous les grand stades européens est vraiment quelque chose de merveilleux. C’est la magie du football. La Ligue des Champions m’a donné l’occasion de réaliser mes rêves d’enfant. Etonnament, l’Ajax d’Amsterdam est la seule grosse équipe, européenne que je n’ai jamais affronté.

Le pire aspect est l’épuisant travail avec les médias après le match. Nous enchaînons au minimum six interviews pour différentes chaînes ainsi qu’une conférence de presse. C’est épuisant.


Depuis le début de la Ligue des Champions, quels sont les deux ou trois joueurs qui vous ont le plus impressionnés ?


A l’heure actuelle, Messi est très impressionnant et joue à un très haut niveau. Kaka fait également forte impression. Zinedine Zidane était excellent mais celui qui retiens particulièrement mon attention est sans aucun doute Paolo Maldini. Maldini a été mon joueur adverse favori en Ligue des Champions. Il a une allure magnifique, un esprit de compétition inaltérable, il est athlétique et bien qu’il ne soit pas techniquement le plus grand joueur du monde, il a influencé toutes les équipe du Milan AC durant la période magnifique et couronnée de succès qu’il à passé dans ce club. C’est vraiment un joueur merveilleux.

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