Il est le joueur le plus titré de Grande Bretagne, mais nous ne savons rien de sa vie. Il vaut 24 millions de livres, mais vit à moins d’un kilomètre de la où il a grandi. Ryan Giggs est-il le dernier homme bien de la Premier League ?




J'attends Ryan Giggs quand je remarque une grande moustache en guidon blanche flânant au bout du couloir. "Bonjour, Harry," dis-je. Harry Swales, l'agent de 84 ans de Giggs, est reconnaissable entre mille. Nous bavardons pendant quelques secondes avant de m’apercevoir que Giggs est debout à côté de lui; bronzé, beau, des joues à la manière d’une piste de ski, l’un des visages les plus reconnaissables du monde du football mondial - et d'une façon ou d'une autre invisible. Il ressemble à un petit garçon, poli et obéissant, de sortie avec son excentrique grand-père.



Giggs a eu une carrière remarquable. Ayant gagné un record de 11 titres de Premier League avec Manchester United et d’innombrables autres trophées, il est le footballeur britannique le plus titré. À l’âge ridiculement avancé de 35 ans, des années après que la plupart des ailiers aient raccroché leurs crampons, il a été désigné footballeur de l'année par ses pairs. En décembre dernier, à l'âge encore plus ridicule de 36 ans, il a été nommé personnalité de l’année par BBC sports.



Giggs a une identité étonnamment complexe. Il a grandi en tant que Ryan Wilson, jouant pour les Manchester City Boys et comme capitaine des England Schoolboys, et a fini comme Ryan Giggs, recordman d’apparitions avec Manchester United et capitaine du Pays de Galles. La plupart des personnes pensent à lui comme un blanc, mais il est métisse - son père, l'ancien joueur de rugby de Swinton Danny Wilson, est noir.



Son père a eu une influence énorme sur lui. "Il était mon premier héros. Je n’ai jamais vraiment été en adoration devant des footballeurs - j’aimais Bryan Robson, Mark Hughes, des gens comme ça - mais le voir jouer pendant trois ou quatre ans tous les dimanche à la maison et à l’extérieur, il était si doué. Aller à l’entraînement avec lui, c’était quelqu’un que je respectais." Mais il l'a aussi méprisé - Wilson se montrait agressif avec la mère de Giggs, et a quitté sa famille quand Giggs avait 15 ans. Dans son autobiographie, Giggs a décrit le plein d’émotions qu'il a ressenti en portant le sac de son père jusqu’à la gare pour la dernière fois - la perte, la douleur, la colère.



Un an plus tard il a changé son nom de Wilson pour prendre celui de Giggs, le nom de sa mère. Est-ce que cela a été une grande décision ? "Ouais, ça l’était. J'avais toujours été Wilson à l'école. United était en Italie pour un tournoi de jeunes et je venais tout juste d'avoir mon passeport et l'arbitre est entré et il a lu à haute voix tous les passeports, et il a lu mon nom et j'ai dit, 'Ouais, c'est moi ' et tout le monde s’est juste demandé, 'Quoi ? Reniait-il son père en changeant son nom ?' Il hésite. "Non, pas vraiment. Pas vraiment. C’était plus un ' je suis avec ma mère ' qu'une déclaration à mon père." Aujourd'hui, il est extrêmement proche de sa mère et voit rarement son père.



Enfant, il a du faire face au racisme, bien que la plupart des gens pensaient qu’il était blanc. "Là où j'ai grandi, les gens connaissaient évidemment mon père parce que c'est un petit endroit et il était le meilleur joueur de Swinton - ils venaient le voir jouer, le voyait dans les journaux, donc ils savaient qu'il était noir." Est-ce que sa couleur de peau est importante pour lui ? "Ouais, bien sûr ça l’est. Ce sont vos racines. C’est la personne que vous êtes, c’est ce que vous êtes."



Dans le passé, Giggs a dit que la relation tendue de ses parents l’a aidé dans son football - l'a endurci. Aujourd'hui, il dit qu'il n'est pas sûr que ce soit tout à fait vrai. "Ça ne m’a peut-être pas vraiment endurci. Peut-être que ça m’a permis de m’évader pendant les moments difficiles à la maison. C'était un bol d’air."



Giggs aurait tout aussi bien pu devenir joueur de rugby. Il a joué pour les Salford Boys et Lancashire et était sur le point de faire des essais pour la Grande Bretagne lorsqu’il a signé pour United. Je le regarde de haut en bas avec scepticisme. "Ouais, vous me regardez maintenant et vous vous dites, 'Vous ? Un joueur de rugby!' Mais à cet âge j'étais plutôt grand, rapide et j’ai grandi dans un environnement de rugby."



Il a fait ses débuts en équipe première avec United à 17 ans. Déjà là c’était évident qu'il était spécial - un mélange phénoménal de vitesse, de grâce et de magie d’ailier. Il a été décrit comme le plus beau coureur dans le football; Sir Alex Ferguson a dit de la façon dont il a attaquée les défenseurs, la balle collée à ses pieds, allant d’un côté à l’autre, "Giggs peut vous retourner le sang."



Il faisait partie de l’incroyable équipe de jeunes, aux côtés de Paul Scholes, David Beckham, Gary Neville et Nicky Butt, qui a gagné la FA Youth Cup en 1992. Tandis que Beckham a finalement quitté le nid et est devenu une marque mondiale, Scholes et Giggs ont tourné le dos aux sirènes de la publicité et sont devenus les merveilles d’un seul club. C’est tentant de penser à cela comme des solutions de repli à un âge perdu, mais même il y a un demi-siècle, peu de footballeurs sont restés fidèles à un seul club et ils sont encore moins nombreux à avoir joué au plus haut niveau à l’approche de la quarantaine. Sur tous les fronts, Scholes et Giggs sont des monstres du football.



Comment ont-ils réussi à rester si normal dans l'ère des footballeurs égocentriques ? "C'est juste une question de caractère," dit Giggs.



Pourquoi tellement de joueurs ont-ils perdu le sens de la réalité ? "Trop d'argent à un jeune âge," répond-il immédiatement. "Vous n’êtes plus concentrés uniquement sur le ballon. Et vous n’avez plus la même envie que celle qu’avait les joueurs avant. Vous pensez que vous avez réussi avant que vous n'ayez fait quoique ce soit. Même moi, je pense toujours que je peux faire des choses, il y a toujours des choses que l’on n’a pas faites."



Swales, qui est assis avec nous, commence à se déchaîner contre le footballeur moderne. "Ils ont 16 ou 17 ans, ils marquent deux ou trois buts, les journaux les encensent jusqu'à devenir quelque chose de surhumain," dit-il. "Et ensuite ils disent, ' c'est la pression. ' Conneries! Quelle pression ? Regardez, Ryan apprécie de faire quelque chose qu'il aime et il aime aussi ce que cela apporte et en ajoutant cela à sa famille et sa maison, il a la vie parfaite, donc pourquoi bousiller tout ça en jouant à l’étranger ou en insultant quelqu'un ?" Alors que Swales fulmine, Giggs est assis les mains sur la table, réservé, à l’écoute.



Swales dit que quand il a rencontré Giggs pour la première fois il était incroyablement timide. Giggs rit. "Tu ne m'as jamais parlé pendant trois mois," dit Swales. "Je lui ai dit, ' est-ce que vous allez bien ? ' Et il a juste fait oui de la tête. Et j'ai dit, ' Est-ce que vous parlez ? '"



Giggs : "Quand j'ai fait mes débuts, j'étais dans le YTS (un programme pour les jeunes leur permettant de s’entraîner et d’étudier), je gagnais 29.50£ par semaine et 10£ pour les dépenses. Quarante livre et j'étais en équipe première. Ça ne m'a pas dérangé."



Swales : "Je parie que tu estimais être millionnaire."



Giggs : "Et le manager m'a promis que plus je jouais, plus je serais récompensé. Ça ne se fait plus comme ça maintenant. Ce ne sont pas juste les joueurs, c'est la culture. Parfois c’est l’entourage; les gens qui les surveillent – l’argent qu’on leur donne. Certaines familles renoncent à leurs emplois et vivent aux frais de leurs fils. Ce ne serait jamais arrivé il y a 10 ans."



"Sacrés oiseaux…"
murmure Swales.



Les enfants de United étaient chanceux dans le sens où ils avaient Ferguson pour les guider. Une image forte du jeune Giggs est celle de Ferguson l’emmenant loin de la presse, un bras protecteur autour de son épaule. Encore maintenant nous savons si peu de sa vie. Il y a eu peu de photos dans les journaux de sa femme, Stacey, sans parler de ses enfants. "Je l'ai appris dès l'enfance. J'étais dans les journaux et je n’ai juste pas aimé ça. Ils veulent tout connaître de votre petite amie. Et une fois que cela commence vous ne pouvez pas l'arrêter." Dans son nouveau livre illustré, il a dévoilé une photo rare de lui et Stacey le jour de leur mariage, mais c’est tout sur le plan familial. "Pourquoi quelqu'un devrait-il savoir quoi que ce soit ?"



Il dit que Ferguson leur a dit maintes et maintes fois quelle chance ils avaient, comment ils ne pourraient jamais devenir suffisants. "Un bon exemple est Becks. Il a toujours aussi envie que n’importe qui de jouer au football. Les gens vont lui mettre des coups, mais tout le monde dans le football respecte ce qu’il a fait, comment il l'a fait." Avait-il peur de Ferguson ? "Je ne vais pas mentir – en grandissant, il faisait peur. Comment il avait quelque chose contre vous et peu importe qui vous étiez. C’était un personnage effrayant." Je demande s'il pourrait faire une imitation du fameux 'sèche-cheveux' de Fergie ? " Je ne pourrais pas même pas commencer à faire une imitation. Je l'ai rencontré quand j'avais 13 ans et maintenant j'ai 36 ans, donc la relation est totalement différente. Il était beaucoup plus effrayant à cette époque. "



Quelle est la pire chose que Ferguson lui a dite ? "Il a du dire deux ou trois fois, 'Tu ne rejoueras pas pour le club.' Qu'avait-il fait pour le mériter ? "Je ne sais pas. Probablement tirer quand j’aurais du centrer! La chose avec le Gaffer c’est qu’il en a eu contre moi, mais le jour d’après c’est oublié."



Est-ce vrai qu'il était à côté de Beckham quand Fergie a balancé les crampons dans son visage ? "Ouais, Becks avait l’habitude de se changer à côté de moi, donc ça a juste volé devant moi." Est-ce que c'était un tir violent ? "C'était incroyable. Incroyable. Vous ne pourriez pas le faire même en essayant un million de fois." Où a-t-il frappé Beckham ? "Juste sur l'œil." Comment était l’ambiance dans le vestiaire après cela ? Regardez, dit-il, tellement de choses ont été dites sur cet incident. "Ce que vous devez réaliser c’est que les footballeurs et moi en particulier, nous avons tout vu dans le vestiaire. Tout. J'ai vu le manager commencer avec les joueurs, les joueurs commencer avec lui, des joueurs se battre les uns contre les autres, des managers se battre, vraiment tout."



Le plus grand changement dans sa vie de footballeur, dit-il, est son attitude par rapport à la vie privée et la célébrité. Tout est bon pour être pris aujourd’hui, plus rien n'est sacré. Il y a beaucoup de mauvaises choses, des filles vendant des histoires et pire, certains des joueurs eux-mêmes semblent mesurer leur renommée autant par leurs exploits en couverture de magazine que par leurs accomplissements racontés en dernière page.



"Je ne pense pas que ce soit juste le football. Le besoin de célébrité, ça existe partout, n'est-ce pas ? C'est la télé réalité, Big Brother. Je ne suis pas devenu footballeur pour être célèbre, je suis devenu footballeur pour réussir. Je ne voulais pas être célèbre. Maintenant les gens veulent être célèbres. Pourquoi ? Pourquoi voudriez-vous que les gens vous suivent toute la journée ? Je ne pourrais pas penser à quelque chose de pire."



J'ai une théorie sur les footballeurs modernes - ils sont tellement payés qu'ils perdent le sens des valeurs et tout, même les femmes deviennent une marchandise. Rien que ces dernières semaines, deux footballeurs de l’équipe d’Angleterre, Wayne Rooney et Peter Crouch, ont été exposés par les tabloïds. Giggs hoche la tête diplomatiquement et reste sur sa ligne de conduite. "Je ne sais pas."



Swales a lui aussi ses théories. "A l’époque, les footballeurs avaient de la chance s'ils avaient une Ford Populaire et vivaient dans une maison jumelle. Mais maintenant 17 Bentleys, quatre Ferraris, une maison à Marbella et ils jettent l'argent par les fenêtres comme si c’était une mode."



Giggs sourit. Quelle est la chose la plus tape-à-l'œil qu’il ait acheté ? Il semble embarrassé. "Probablement des voitures." Combien en a-t-il ? "Oh, j'ai eu mes Ferraris et mes Porsches."



Swales : "et tes Aston Villas …"



Giggs : "Aston Martin, oui. C'est toujours une faiblesse. J'ai juste du me maîtriser un peu." Donc combien de voitures a-t-il maintenant ? "Juste une." C'est pathétique, je dis – et vous dites être footballeur. Qu'est-ce que c'est ? "Quelle est la marque de ma voiture ? Bentley!"



A part les voitures et une belle maison, Giggs est remarquablement inchangé. Il traîne avec beaucoup de ses amis d'école et vit à moins d’un kilomètre de la où il a grandi et où il est allé à l'école. "Je viens juste de voir mon ancien professeur de sport au bar."



Dans la liste des plus riches britanniques 2009/10 du monde du football, Giggs était cinquième avec une fortune estimée à 24M£, tandis que Beckham laissait tout le monde loin derrière lui avec 125M£. Pense-t-il que les meilleurs joueurs sont trop payés aujourd'hui ? Non, dit-il, ce n'est pas le problème. "Toujours, dans n'importe quel sport, les meilleurs sont payés des milliers de dollars. Le problème est que maintenant, même les joueurs moyens, les jeunes joueurs, sont eux aussi payé des fortunes... Quand j’ai d’abord intégré l'équipe, je ne savais pas qu’il en était ainsi, je ne m’en préoccupais pas, mais maintenant tout le monde semble le savoir." Cela mène à une spirale d'avidité, dit-il. "Cela fait aller les joueurs chez des agents et dire, ' Ce joueur moyen reçoit ça et ça, je veux la même chose. ' Peu importe le, ' je veux jouer pour le même club 10-15 ans, c'est juste, ' je veux gagner cet argent. '"



Les meilleurs joueurs amènent le public, dit-il et il y a énormément d’argent qui gravite autour du football donc ils méritent un bon gros salaire. Mais est que ce n'est pas le problème ? La réalité pour beaucoup de clubs est qu’ils sont ruinés. Quand Manchester United a été acheté par la famille Glazer dans un rachat financé par une dette estimée à 790M£, le club ayant le plus de valeur au monde est devenu le club le plus endetté, menant aux protestations massives des fans. Est-ce qu’il voudrait voir les Glazer s’en aller ? "Est-ce que je le voudrais?" demande t-il hésitant.



"Rien à voir avec lui," dit Swales.



"En tant que joueur, vous jouez juste pour le club. J'aime Man United, je vais jouer pour Man United, et c’est sur cela que je me concentre."



La concentration est un grand mot pour Giggs. Il dit qu'il a dû être incroyablement concentré pour réussir à ses débuts et même encore plus pour mener à bien sa carrière. Il parle de sa capacité à prendre du recul. Il l'a fait quand ses parents se battaient à la maison, il le fait quand il voit que d'autres joueurs s’attirent des ennuis et il le fait quand il est confronté aux problèmes d’argent auxquels son club fait face.



Le truc, dit-il, c’est juste de faire avec, de ne plus y penser. Les gens demandent sans cesse quand est-ce qu’il va arrêter, ce qui va se passer ensuite (on a récemment parlé de lui comme le possible nouvel entraîneur du Pays de Galles) et il n‘en a aucune idée.



"Les deux ou trois dernières années, vous regardez juste comment la saison se passe, vous vous asseyez et vous bavardez avec le Gaffer à Noël et vous voyez ce qu’il en est."



Il prend sa photo avec une pose classique à la Giggs - sérieux, concentré tout de même. "Vous devez être assez contents de la façon dont les choses ont tournées pour vous", dis-je. Je ne pense pas …" Il s'arrête, en s'excusant. "Honnêtement, je continue à dire que je n'y pense pas, mais je ne le fais pas. J’en profite juste tant que cela dure."
Quand tout sera vraiment terminé, dit-il et seulement à ce moment là, alors il sera temps pour la réflexion.

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