Manchester United : Une Histoire de défense (Partie 1)

Lorsque l'on évoque Manchester United, beaucoup auront en tête le génie divin de Best, le charisme naturel de Cantona, le talent éternel de Giggs, l'insolence boutonneuse de Cristiano Ronaldo ou encore l'audace dégarnie de Rooney. Mais pas que. Derrière ces hommes, ont toujours brillé d'autres joueurs, plus discrets de par leur position sur le terrain, mais tout aussi essentiels au bon huilage d'une machine qui se met alors à tout gagner. Ces hommes, ce sont les grands défenseurs centraux que le club ait connu. Petit hommage à ces grandes paires de stoppeurs qui ont fait de United une référence en matière de défense.


Le football, c'est un peu comme une plante. Il faut de belles fleurs, qui s'élèvent au dessus de tout, qui exposent leurs ravissantes couleurs et leurs délicates odeurs pour attirer tous les regards, toutes les attentions. Mais il faut aussi des racines et une tige pour soutenir et élever ces fleurs, pour les permettre de s'exposer à la lumière, non pas du soleil, mais plutôt des projecteurs. Admettons que les joueurs à profil offensif et au jeu léché soient les fleurs. Alors racines et tige seront représentées par les défenseurs : présents pour aider leurs coéquipiers à briller, et toujours un peu oubliés. On n'oubliera jamais un but de raccroc de l'extérieur de la cuisse donnant la victoire pour l'équipe à la 93ème minute. Mais on oublie vite une intervention défensive salvatrice. Triste traitement pour ces joueurs de l'ombre que je tiens à mettre sur le devant de la scène, pour une fois !

Mais présenter tous les grands défenseurs que le club ait connus serait un peu fastidieux et rébarbatif. Il y en a eu tellement... Un grand défenseur, c'est symbolique. Une grande paire de stoppeurs, c'est légendaire. Comment mieux représenter les valeurs que prône le club (solidarité, courage, abnégation, partage, volonté, cassage de jambes de Citizens et de Scousers), si ce n'est qu'à travers un duo défensif ayant pour objectif à la fois de protéger son gardien et d'aider ses coéquipiers à briller ? Certes, les attaquants incarnent aussi à merveille ces valeurs, et on n’oublie pas de le souligner. Mais pour les défenseurs, on oublie un peu plus souvent...

Des grandes paires de défenseurs, le club en a connu quelques unes. J'en ai retenues trois. Cette première partie sera dédiée à la première de ces associations (chronologiquement parlant) : la paire Bruce-Pallister, alias Dolly and Daisy. Pour les deux autres associations que j'ai choisies...et ben vous verrez bien au moment voulu (un indice ? Ce n'est déjà pas une Carrick-De Laet).

STEVE BRUCE – GARY PALLISTER (1990-1996)

La charnière que l'emblématique Gary Neville décrira comme la meilleure que le club ait connue. Et pour cause ! C’est à partir de cette charnière, et de cette équipe plus particulièrement, que United va commencer à bouleverser les ordres établis en Premier League, et c'est à partir de là que le club, avec l'arrivée de son nouvel entraîneur, un certain Alex Ferguson, va faire "descendre Liverpool de son putain de perchoir", dixit le nouveau coach. Si ce qui à l'époque semblait n'être qu'une profonde utopie est aujourd'hui une délicieuse réalité. C'est en grande partie grâce à ces merveilleuses associations défensives que l’Écossais a su bâtir pour stabiliser le bloc mancunien. Et à ce titre, la paire Bruce-Pallister peut-être décrite comme la première grande réussite dans ce domaine du futur Sir aux 20 ans passés à la tête du club.

Mais Bruce et Pallister, c'est avant tout la rencontre inopinée de deux destins qui ne semblaient, à priori, pas converger l'un vers l'autre. Pour cause, la carrière du jeune Steve aurait pu s'arrêter de manière trop précoce. A l'aube de ses 18 ans, il est rejeté par plusieurs centres de formation, personne ne semble vouloir de ce jeune joueur pourtant décrit comme prometteur. Il pense s'orienter vers le métier de plombier. De quoi plomber sa carrière de footballeur, si je puis dire. Mais il signe finalement un contrat pour Gillingham en 1978, et après 6 ans passés au club, puis 3 à Norwich, il rejoint United en 1987. Ferguson vient alors de prendre les rennes du club, et le manager recrute dans le sillon de Bruce, en 1989, un autre défenseur central : Gary Pallister. Gary est alors âgé de 24 ans, et a fait ses marques à Middlesbrough, après avoir débuté dans le modeste club de Billigham Town. Les deux pièces sont en place : le cavalier Bruce et la tour Pallister. La partie peut commencer. Elle n'est pas prête de se terminer.

Et cette charnière centrale prend ses marques dès 1990, année où United remporte la coupe d'Angleterre face à Crystal Palace, après une victoire 1 but à 0 au match retour (3-3 à l'aller). Pas de quoi inquiéter Pool, qui continue de dominer outrageusement le championnat anglais qu'il gagne en 1990. Mais patience, le diablotin va vite faire descendre le phénix de son perchoir, et c'est d'ailleurs la dernière année où les Scousers remportent le championnat.

Comment décrire cette association défensive ? Pallister nous explique : "Steve attaque le ballon et montre beaucoup d'agressivité, et moi je suis là pour récupérer et recoller les morceaux". Donc, Bruce était le stoppeur, et Pallister le libéro en somme ? C'est à peu près ça. Une association qui préfigure au final celle qui sera formée par Vidic et Ferdinand, tant les comparaisons et les ressemblances sont multiples. Nous y reviendrons.

Steve Bruce :

On pourrait donc considérer Steve comme le stoppeur de cette fameuse charnière centrale. Avec Steve, comme avec Jim Carrey, on avait bien affaire à "Bruce tout puissant". Cette petite blague médiocre passée, il faut avouer que la puissance était une caractéristique première de Bruce. Un vrai stoppeur, un profil de défenseur à priori assez classique. Et pourtant… Bruce, c'était avant tout l'allégorie même d'une agressivité, d'un courage, d'une volonté et d'une combativité ancrés dans l'Histoire du club et dans ses valeurs. Une agressivité qu'il mettait en jeu dans chacun de ses duels, le défenseur abattait un travail énormissime devant Pallister. Cette agressivité était aussi retranscrite sur chaque corner mancunien.

Bruce n'était pas le plus grand (1m83), certainement pas. Mais c'était celui qui en voulait le plus. Il n'hésitait jamais à aller au contact, il voulait prendre cette balle de la tête et la catapulter au fond des filets. Il arrivait à s'imposer dans les airs à peu près aussi souvent qu'une paire Torres-Caroll arriverait à rater l'immanquable. Très souvent donc. Il demeurera comme un redoutable joueur de tête, ce qui montre bien qu'il ne suffit pas simplement d'être grand pour être bon dans les airs. Un exemple ? Son doublé de la tête face à Sheffield Wednesday, lors de la saison 1992-93. United était alors mené 1-0, et deux coups de casque du numéro 4, l'un sur corner, et le second sur un centre d'un certain Pallister, ont fait hurlé Old Trafford de bonheur, véritable délivrance dans un après-midi bien crispé. "Steve Bruce !! Unbelievable !!" Ferguson en a sauté de joie sur le terrain. Aujourd'hui, il se contenterait de mâcher nerveusement son chewing-gum, d'applaudir, de regarder sa montre, et d'ordonner aux joueurs de fermer la boutique, de grands gestes de la main. Une toute autre époque. Et United gagna le championnat cette saison, une saison qui vit l'émergence du capitaine Bruce.

En 410 matchs sous le maillot des Red Devils, Bruce aura inscrit 51 buts, statistiques impressionnantes pour un défenseur central (avec, il est vrai, beaucoup de penalties transformés). Mais l'emblématique numéro 4 aura connu quelques échecs dans sa carrière, notamment sur le plan national, puisqu'il n'aura jamais joué le moindre match avec l'équipe d'Angleterre. Mais si Bruce est aujourd'hui aussi apprécié du côté du Théâtre des Rêves, ce n'est pas que pour ses belles performances avec les Red Devils, c'est aussi pour son dévouement pour le club. Bruce aurait pu jouer pour l'équipe nationale d'Irlande, mais le fait est que la FA limitait le nombre de joueurs étrangers dans une équipe. Pour ne pas pénaliser United avec un joueur étranger de plus, Bruce refusa. Une telle opportunité ne se présentera alors plus jamais au défenseur. Lors de la saison 1995-96, des clubs proposent à Bruce de débuter une carrière d'entraîneur. Mais Ferguson refuse, pensant que Bruce a encore à apporter au club. Et le stoppeur se mettra, pour une ultime saison, au service de l'équipe. Une nouvelle saison victorieuse en championnat, après celle de 1993-1994. A la fin de celle-ci, se dessine un nouveau capitaine, Eric Cantona. Et dans l'ombre de cette légende vivante et éblouissante, Bruce se retire discrètement, tel le bon et loyal serviteur qui a accompli ce que son maître lui a ordonné de faire. Se retirer discrètement, chose commune pour un défenseur.

Gary Pallister :

Passons maintenant au libéro, Pallister. A ses débuts, il était considéré comme un joueur très prometteur. Défenseur doté d'une rare élégance et d'une belle lecture du jeu, ainsi que d'une évidente qualité technique (non pas celle du joueur aux chaussures vertes/jaunes fluos, à la coiffure douteuse, qui te sort 37 passements de jambes à la seconde pour finalement rester sur place ; mais celle du vrai technicien, capable de contrôler et de garder le ballon, tout simplement). D'évidentes ressemblances avec Ferdinand, donc Pallister est absolument fan. Gary rejoint United en 1989, pour un montant de 2.3 millions de livres, un record pour un défenseur à l'époque. Rien à voir avec Bruce dans le jeu : pas aussi tranchant, pas aussi buteur, il n'en est pas moins pour autant que Pallister aura tenu à merveille, lui aussi, son rôle de défenseur. Gary était ce genre de défenseur qui n'en était justement pas un. Du moins pas seulement. Trop à l'aise avec le ballon pour se cantonner à une seule et unique tâche défensive, il fait partie de cette classe de défenseurs élégants, qui dégagent un petit quelque chose, un sentiment de sérénité, de maîtrise, une véritable confiance et une aura impressionnante et stabilisatrice.

Une véritable classe ballon au pied, Gary était capable de faire remonter le ballon, de relancer proprement, de trouver ses coéquipiers, d'adresser des passes décisives (pour Bruce, justement) et même de marquer. Tout comme Bruce, il appréciait monter sur les corners, même s'il fera moins souvent la différence que son acolyte de la défense, malgré son gabarit plus avantageux (1m93). Il aura marqué 12 buts sous le maillot des Diables rouges. On n'oubliera pas son coup franc face aux Rovers, en clôture de la saison 1992-1993 victorieuse en championnat. Ni son doublé à Old Trafford face à Liverpool (en 1997), à l'occasion d'une victoire 3-1 des Red Devils, qui préfigurera un nouveau sacre en championnat. Quand Ferguson le disait, qu'il allait faire descendre ce satané pigeon de son perchoir ! (car le phénix a perdu de sa superbe, il faut bien l'avouer). Pallister aura connu, tout comme Bruce, une grande réussite en club, avec une petite reconnaissance en plus sur la scène internationale (il aura porté le maillot des Three Lions à 22 reprises).

Un duo complémentaire :

Bruce aidait Pallister, Pallister aidait Bruce, et tous deux aidaient l'équipe. D'une bien belle façon, puisque leur légendaire association, qui prit fin en 1996 avec le départ de Bruce, aura permis à l'équipe de remporter le championnat à 3 reprises (1993, 1994 et 1996, et aussi d'ailleurs en 1997 après le départ de Bruce), mais aussi la Cup (en 1990, 1994 et 1996). Imaginez un peu : un véritable guerrier passionnément dévoué qui attaque chaque ballon, soutenu par un coéquipier avec une superbe vision du jeu, une propreté défensive, qui n'a plus qu'à anticiper et à "recoller les morceaux" que son équipier pourrait laisser passer. Une sorte de double rideau, une véritable assise qui assure les arrières de l'équipe. On comprend la complémentarité qui pouvait régner entre le dévoué Bruce et l'élégant Pallister, une véritable symbiose où l'action de chacun profite à l'autre, et où finalement tout profite à l'équipe. A l'aube du XXIème siècle, la paire Bruce-Pallister est considérée comme la meilleure que le club ait connue jusqu'alors. A eux deux, ceux que l'on surnomme "Dolly and Daisy" comptent plus de 800 apparitions pour le club, au cœur de la défense. Pallister quittera les Red Devils 2 ans après Bruce, pour un retour aux sources à Bourough en 1998.

United ne connaîtra pas de "défense de transition", les successeurs des deux mythiques numéros 4 et 6 sont tout trouvés. L'un vient de Hollande, en 1998, un véritable monstre prénommé Jaap Stam. L'autre est arrivé en 1996, du grand froid norvégien. Il s'appelle Ronny Johnsen. Ils ne le savent pas encore, mais ils vont écrire une des plus belles pages de l'Histoire du club, digne de leurs tout frais prédécesseurs...

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