Selon ses propres mots, le plus grand exploit de Sir Alex Ferguson sera d’avoir fait tomber Liverpool de leur « putain » de piédestal il y a 15 ans. Mais quand il jettera son chewing gum sur la pelouse pour la dernière fois de cette saison 2006/2007, il sera bien obligé d’accepter que les observateurs du football considèrent cette saison comme vraiment magique.


Au début de la saison pourtant, peu de gens donnaient à United une chance d’arrêter Chelsea dans sa charge dopée aux dollars pour décrocher un troisième titre consécutif. Le club était encore sous le choc de la prise de contrôle de la famille Glazer, ce qui avait entraîné de nouvelles contraintes financières, le noyau de l’équipe était vieillissant voire en fin de carrière et les deux hommes autour de qui Ferguson voulait bâtir sa saison venaient de s’accrocher gravement à la Coupe du monde en Allemagne.

Pas assez d’attaquants, orphelins d’un grognard à la Roy Keane, un milieu peut-être un peu court au niveau de la qualité, et des points d’interrogations à propos les nouveaux défenseurs Nemanja Vidic et Patrice Evra.

Tout le monde prédisait un destin funeste à cette équipe, une place dans les quatre premiers aurait été la priorité et ne pas se qualifier pour la Ligue des Champions aurait certainement déclenché une apocalypse économique que les anti-Glazer craignaient (et craignent toujours).

Le manager lui-même se faisait vieux, atteignant même de l’âge de la retraite (à Noël), et ses détracteurs attendaient avec joie les premiers signes de faiblesse et de gâtisme. Il n’y en a pourtant eu aucun, et la capacité de Ferguson de mener à bien cette équipe s’est révélée intacte, avec toujours le même flair, le même panache et le même talent qui ont accompagné toutes les grandes équipes de United.


Dire que l’été 2006 a été mouvementé est un euphémisme. Tout le monde spéculait sur la raclée que Wayne Rooney allait mettre à Cristiano Ronaldo au retour à l’entraînement et le Real Madrid et le FC Barcelone ouvraient déjà les bras à la star portugaise.

Personne ne savait dans quel état reviendrait Paul Scholes après son problème à l’œil, combien d’essence avait encore Ryan Giggs dans le réservoir, si Ole Gunnar Solskjaer rejouerait un jour un vrai match de football et comment les buts de Ruud Van Nistelrooy seraient compensés.

Des joueurs comme John O’Shea, Darren Fletcher, Kieran Richardson étaient-ils assez bons ? Michael Carrick pourrait-il faire honneur au numéro 16 de Roy Keane ? Vidic et Evra étaient-ils encore des flops comme Fergie en avait fait ces dernières saisons ?

Avec les prêts des Glazers à rembourser (pour les rembourser, 44M£ sont sortis de la poche du club cette saison), on ne savait pas combien Ferguson pourrait dépenser ou même s’il pourrait dépenser de l’argent. Et quand United s’est révélé être l’équipe qui a le moins dépensé pour le mercato, avec le transfert de Carrick largement compensé par les ventes de Van Nistelrooy et de Obi Mikel, il semblait que les rumeurs sur l’étroitesse du portefeuille du club étaient vraies.

Ferguson avait dit qu’il ne dépenserait pas de l’argent pour le plaisir de le faire, contrairement à Chelsea qui continuait à évoluer dans son monde fantaisiste grâce à l’argent d’Abramovich. Chelsea, qui après deux titres consécutifs, continuait à jeter l’argent par les fenêtres en recrutant Andrei Chevchenko et Michael Ballack, deux des meilleurs joueurs européens, alors que United n’investissait que dans un joueur qui n’arrivait même pas à se faire une place en sélection anglaise. La puissance financière et la profondeur de l’effectif des Blues semblaient incœrcibles mais les blessures de John Terry et Petr Cech ont montré que même dans une équipe de coûteuses superstars, il y a des joueurs clés qu’on ne peut pas remplacer.

L’avantage de United a résidé dans ses ressources intrinsèques. Scholes et Giggs, loin d’être des joueurs sur la pente descendante, ont prouvé à tous que personne ne les égalait en maturité et magnificence. Ajouté à ça, les progrès météoriques du génie de Ronaldo et de la puissance de Rooney, malgré quelques inconstances au cours de la saison, et une paire défensive déjà entrée dans l’histoire du club, et on obtient une équipe exceptionnelle.

Il ne restait plus qu’à éviter les blessures, et c’est ce qui est arrivé pour la plus grande partie de la saison. Et même quand les inquiétudes quant à l’attaque se sont confirmées, avec la fragilité récurrente de Louis Saha, Ferguson a sorti de sa manche un autre atout nommé Henrik Larsson, tout heureux de quitter pour un temps sa pré-retraite en Suède. L’ancien du Celtic et du Barça n’a peut être marqué que trois buts en treize matchs, mais son effet galvanisant sur Wayne Rooney, son apport à l’entraînement et son expérience partagée avec les jeunes est sans prix.

Mais la plus grande réussite de Sir Alex Ferguson cette saison s’est certainement manifestée quand la chance a déserté le camp mancunien et que les blessures ont fauché les Red Devils en fin de saison. Gary Neville, Vidic, Evra, Heinze, Edwin Van der Sar, Rio Ferdinand et Mikael Silvestre, rien que ça, ont tous été plus ou moins gravement blessés et en demie finale de FA Cup contre Watford, on a même vu Evra et Fletcher évoluer au poste d’arrière droit.

Avec ces problèmes défensifs sont venus deux défaites consécutives, à Rome et à Portsmouth, l’équipe semblait fatiguée et atteinte par les évènements. Et pourtant Ferguson est resté calme, il a refusé de s’apitoyer sur son sort et a montré de la foi dans des joueurs tellement décriés par certains fans.


Si on jette un œil sur les grands triomphes de United par le passé, on peut associer certains joueurs à certaines merveilleuses saisons : Eric Cantona était le symbole de 1996, Dwight Yorke en 1999 et George Best en 1965. Aucun doute que Cristiano Ronaldo sera l’icône de 2007, décrochant tous les titres de joueur de l’année, et changeant radicalement son image par rapport au vil traître de l’été dernier.

Mais parler de Ronaldo ne doit pas faire oublier l’importance de certains joueurs qui n’apparaissent qu’épisodiquement dans l’équipe, font leur travail proprement et ensuite disparaissent à nouveau. C’est une chose que Chelsea n’a pas vraiment, et ne peut pas s’acheter : des joueurs incarnant la philosophie du club.

Wes Brown en est un. Son futur est incertain vu la complémentarité et la complicité entre Rio Ferdinand et Nemanja Vidic qui ont formé la meilleure défense du championnat, mais Brown est un modèle de professionnalisme, malgré les nombreuses blessures qui ont gâché sa carrière.

Darren Fletcher en est un autre et mérite plus de crédit que n’importe qui. Beaucoup de fans de United doutaient de lui, refusaient de reconnaître qu’il n’était encore qu’une jeune pousse dans le monde du football, surtout vu qu’il a raté une grande part de sa formation à cause de blessures. Mais ses prestations contre Rome et Milan et son appétit insatiable lors des gros matchs ne devraient pas être oubliés.

Et il y a John O’Shea, qui a commencé la saison en bouche trou du milieu, a passé la plupart de l’hiver sur le banc, pour finalement s’attirer des titres de gloire en tant que gardien dans les dernières minutes à Tottenham ou buteur dans les arrêts de jeu à Liverpool. Il a fini la saison à son vrai poste en défense quand les blessures l’ont exigé.

Solskjaer aussi, dans ce qui aurait pu être sa dernière saison à United, a marqué 11 buts qui ont permis à la machine United de continuer à rouler normalement.

Ce sont tous des joueurs qui ont joué peu, mais chacun s’est révélé être plus précieux que tous les Ballack et Shevchenko du monde, et c’est là où réside le secret du succès de United.