The class of 92 retrace le parcours exceptionnel de six joueurs emblématiques de United. En salle ce 1er décembre en Angleterre, les réalisateurs du film, les frères Turner, se livrent à une longue interview sur leur oeuvre.


J'ai beaucoup apprécié le film et les critiques que j'ai pu lire sont pour l'instant positives, alors la question qui me vient tout de suite à l'esprit, est ce que ce fut aussi amusant à tourner qu'à regarder ?

Gabe Turner : Je ne pense pas qu'il soit possible de s'amuser plus pendant un tournage. Regarder des passes entre Giggs et Scholes ou voir Beckham enrouler des coups francs à travers un pneu, ce n'était pas vraiment du travail ! Quand j'étais jeune, Manchester United dominait totalement le football, et voir ces joueurs évoluer devant ma caméra ne ressemblait en rien à du boulot, même lorsqu'on terminait le montage à 4 heures du matin.

Gary Neville apparaît comme étant l'esprit à l'origine de ce projet, vous pouvez m'en dire plus sur son rôle ?

G : En réalité, les joueurs sont venus ensemble, ils voulaient tous faire quelque chose sur cette génération 92. Notre producteur, Leo Pearlman, est venu avec l'idée d'en faire un film, sur le modèle de ce qui avait pu être fait sur When we were Kings . On voulait donner un contexte social au film, et grâce à Leo, on a pu obtenir un accord avec les studios Universal. Nous sommes retournés voir la bande et tout est parti de là. Au départ, on était parti pour la télévision, mais Léo a poussé pour en faire un film. Nous remercions les joueurs de nous avoir permis d'en arriver là.

Voir les joueurs débarquer dans votre bureau vous demandant de faire un film, ça a du être un sacré compliment.

G : C'était en effet un énorme compliment. C'est le genre de travail qui vous hante s'il vous file entre les doigts. Ces quelques mois passés en leur compagnie fût une expérience formidable, et ça restera gravé dans nos mémoires.

B : Maintenant que j'ai pu lire les critiques, tout semble un peu plus vrai. Lorsque vous tournez un film, vous êtes tellement concentrés dessus, tout en prenant du plaisir, que vous oubliez presque que le produit final est destiné aux gens et qui vont avoir un avis dessus.

The Guardian affirme aujourd'hui que le film a passé le test pour se ranger dans le rayon comédie ! Aviez-vous réalisé pendant le tournage que le film serait si drôle ?

G : Ce n'est pas réellement une surprise, on avait déjà pas mal travaillé avec des gens du milieu sportif avant. Il s'agit surtout de leur donner un environnement où ils se sentent à l'aise. On ne cherche pas à obtenir quelque chose spécifique d'eux, vous n'avez pas d'agenda ou d'objectif, mais en discutant, ils ont cette tendance à être drôle. C'est le genre de mentalité qui s'acquiert lorsque vous partagez un vestiaire pendant si longtemps.

Vous avez également réussi à éviter la langue de bois habituelle des footballers, je n'imaginais pas Ryan Giggs si ouvert.

G : Ryan est vraiment drôle. Il sait aussi raconter une histoire. Le but principal du projet était de leur fournir cet environnement confortable pour qu'ils puissent s'y exprimer hors du cadre guindé des interviews. Nous ne voulions par leur poser de questions directes. Ne pas avoir d'agenda était une manière pour nous de pas les piéger. Notre objectif était de les montrer comme ils sont réellement, et si les gens captent cette sensation, alors nous aurons réussi une partie du projet. Nous ne voulions pas adopter cette stratégie de questions/réponses.

B : Ils sont des figures si populaires que des dizaines de journalistes plus compétents que nous ont décortiqué le moindre fait de leur carrière. L'objectif était alors plus de montrer la personne sous le footballeur que de chercher de nouvelles anecdotes. Vous pouvez lire beaucoup de livres sur eux, mais en passant tout ce temps à leur côté, j'espère que le film vous donnera une meilleure impression sur leur personnalité.

Paul Scholes est aussi une véritable révélation dans le rôle du Jack Dee (humoriste britannique). Saviez-vous à quel point il pouvait être caustique malgré sa timidité ?

G : Jack Dee est en effet une très bonne description. Passer du temps auprès de Paul Scholes fût un véritable privilège. Il était vraiment plaisant et divertissant. Tout le monde aime Scholes, même si vous n'êtes pas un fan de Manchester United. Il est de ces joueurs pour lesquels il est difficile d'avoir de la rancoeur. L'interview pendant 4 heures est probablement quelque chose qui n'avait jamais été fait auparavant.

J'ai entendu que Paul Scholes n'est pas très enjoué à l'idée de se rendre à l'avant-première. Cela rappelle le Camp Nou en 1999 lorsqu'il ne voulait pas venir sur le terrain après la victoire, et qu'il a déclaré que le plus triste était que Roy Keane ne participe pas au match. Peut-on être si talentueux et avoir si peu d'ego ?

B : C'est un juste un type plutôt timide. Il n'est pas froid mais il ne recherche pas nécessairement la lumière des podiums. Quand nous nous préparions pour aller lui parler, j'étais un peu sceptique et j'avais peur qu'il soit un peu renfermé et qu'il n'ait pas grand chose à dire. Je n'aurai pas pu être plus éloigné de la vérité. Il est très drôle et sans artifice, un type très proche de sa famille.

Nicky Butt se révèle être un véritable leader du groupe. Je m'attendais à une personnalité timide à l'instar de Paul Scholes, mais il est un autre joker.

G : A moins d'être un véritable fan de Manchester United, vous ne pouvez pas vous rendre compte à quel point il était un joueur important de l'équipe. Ce qui était intéressant, c'était de voir à quel point les autres joueurs le tenaient en haute estime. Il était sous beaucoup d'aspect le Bryan Robson de cette génération. C'était lui qu'on a interviewé le premier, et tout s'est très bien passé. Alors qu'on était dans la voiture sur le chemin du retour, on a commencé à chanter des chansons à sa gloire, ce qui signifie beaucoup venant de la part de fans de Sunderland. C'était un vrai soulagement de voir les joueurs à ce point ouvert.

Il y a cette excellence séquence où Nicky Butt confesse qu'il est d'accord avec l'analyse "On ne peut rien gagner avec des enfants", cela montre à quel point les footballers peuvent eux aussi être en proie au doute.

G : Ils étaient tous d'accord en réalité, mais on a tendance à oublier toute l'expérience qu'il restait au sein de cette équipe, malgré la vente de joueurs clés (Mark Hughes, Paul Ince and Andrei Kanchelskis) et se sont eux qui ont pris les joueurs de 92 sous leurs ailes pour en faire ce qu'ils sont aujourd'hui. Ces types sont si humbles que lorsque vous leur parlez, ils sont juste fiers d'avoir fait partie de cette équipe, et ont du mal à reconnaître l'importance du rôle qu'ils ont tenu. J'essayais constamment de leur rappeler le rôle qu'ils avaient eu dans un succès, mais ils n'arrêtaient pas de ramener l'influence des anciens. Je pense que c'est une des raisons de leur succès. Ils n'ont jamais été aveuglés par les succès et le crépitement des flashs. Ils sont juste fiers d'avoir joué pour Manchester United.

Je lisais sur internet un message de fan de United qui craignait que le film soit concentré à 80% sur David Beckham, et pourtant c'est tout le contraire. Comment c'était de gérer David Beckham ?

G : C'est un gars formidable, comme le reste du groupe. Il n'y a aucune différence avec les autres et c'était très agréable de bosser avec lui. La façon qu'ils avaient de traiter le staff était de grande classe, peu importe de qui il s'agissait. Le film est centré sur le groupe plus que sur les individualités. Aucun d'entre eux n'a demandé de traitement de faveur, pas plus que de demandes fantaisistes. Le film retrace l'histoire de six garçons réalisant leur rêve. C'est une fenêtre sur l'expérience d'un formidable groupe d'amis.

Le film se place dans les classiques du film sportif, en étalant un crescendo jusqu'au succès final de 1999, pourtant je l'ai perçu plus comme un "buddy movie" des plus plaisants. Etait-ce intentionnel ?

B : C'était à 100% intentionnel. C'était l'idée que mon frère et moi nous faisions du film. Nous avions déjà réalisé un film du même genre quelques années auparavant Le but était de capter l'amitié à travers la réalisation d'un but commun. C'est ce que nous avons tenté de reproduire avec ce film. C'est cette camaraderie et l'esprit de groupe supérieur aux individualités qui nous ont grandement inspirés. Nous sommes suffisamment chanceux pour posséder avec mon frère et deux de nos meilleurs amis notre propre studio de productions, grâce à cet esprit d'équipe. L'idée de travailler ensemble sur un projet commun et d'y arriver au travers de cet esprit d'équipe est formidable. C'est une vision romantique de la réussite.

Ce qui ressort, c'est l'évolution de ce groupe de jeune gens devenant presque un gang. Le fait est que tout le monde peut apprécier le film, et pas seulement les supporters de Manchester United.

B : C'est définitivement l'objectif. Il y aura toujours des gens profondément anti-United et quoique vous fassiez, cela ne sera pas à leur goût. Je pense cependant que le film est universel et que tout le monde peut s'y reconnaître. Nous voulions faire plus qu'un simple film sportif de video club, et Universal nous a permis de le faire. Il y a beaucoup de grands joueurs et de grandes équipes, mais ce qui est unique est le fait qu'ils aient grandi ensemble pour finir par jouer pour Manchester United. Nicky Butt était avec nous alors que nous filmions six gamins se faisant des passes dans un parc. Il nous a dit "Imaginez que c'est nous et que cette bande grandisse et finisse par faire le triplé. C'est ce qui nous est arrivé". Cette phrase symbolise le coeur du film.

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