Le 27 Novembre 1992 Eric Cantona, enfant terrible du foot, signait à Manchester United, pour la somme de 1.2M£; présentation du King.

 

Le Catalyseur:

Avant l’arrivée fracassante de l’attaquant français, l’effectif de Manchester United consistait en une alliance fragile de jeunes joueurs inexpérimentés et de vieux briscards. Tous les ingrédients étaient réunis pour que le succès soit au rendez-vous : une défense intraitable, un milieu de terrain industrieux et incisif et une attaque oscillant entre finesse et brutalité.

United avait tous les arguments pour prétendre à la couronne d’Angleterre. Ou presque. Il manquait ce petit je ne sais quoi qui fait toute la différence entre le champion et un simple candidat au titre. En posant ses valises à Manchester, Cantona a donné l’impulsion qui a aidé United à passer dans la première des deux catégories, comme il l’avait fait neuf mois plus tôt avec Leeds, vainqueur du titre 1991/92 au nez et à la barbe des Red Devils.

Quelques mois après le début de la saison 1992/93, United affiche des résultats solides sans faire d’étincelles. Tout va changer suite à un coup de fil du directeur général de Leeds Bill Fotherby, qui cherche alors à s’attacher les services du

défenseur mancunien Denis Irwin. Opportuniste, Sir Alex tente le coup et moins d’une heure plus tard, lui et le président de Leeds Howard Wilkinson tombent d’accord pour transférer Cantona à United pour la bagatelle d’un million de livres sterling.

En formulant spontanément cette contre-proposition audacieuse, Ferguson vient sans le savoir de recruter celui qui conduira son équipe au sommet, comme il le décrit dans son autobiographie : « L’une des périodes les plus extraordinaires de l’histoire de Manchester United était sur le point de commencer. » Bien plus qu’un attaquant talentueux synonyme de buts et de victoires supplémentaires, United vient d’enrôler un joueur doué d’une mentalité et d’un charisme de champion. L’impact de Cantona en dehors du terrain se fait sentir immédiatement, allant jusqu’à sidérer Sir Alex lui-même.

Au terme de la première séance d’entraînement dans l’ancien centre de The Cliff, Eric vient voir Sir Alex et lui demande deux joueurs et un gardien pour continuer à s’entraîner. Pendant une demi-heure, il enchaîne les reprises de volée sur des centres venus de chaque côté du terrain. Le lendemain, la moitié du groupe prolonge la séance d’entraînement.

« Beaucoup ont salué Cantona, et à juste titre, comme le catalyseur qui a eu un impact décisif sur les résultats du club », explique le manager. « Mais ce que je retiendrai avant tout, ce ne sont pas ses exploits en match, mais la manière dont il m’a ouvert les yeux sur l’importance capitale de l’entraînement. »

Grâce à Cantona, cette équipe prometteuse mais jusqu’ici privée de titres franchit un cap. En doublant Aston Villa et Norwich City pour s’emparer du titre 1992/93, les Red Devils mettent fin à plus de

25 ans de disette et de frustration. Et histoire de mettre tout le monde d’accord, United boucle la saison en trombe avec sept succès de rang.

L’équipe de Sir Alex se transforme en machine à gagner. Torse bombé et col relevé, Cantona est l’incarnation de ce renouveau. Lui qui changeait de club comme de chemise, Canto se sent chez lui à Manchester, au point de devenir une sorte de demi-dieu pour les fanatiques des Red Devils, qui voient en lui une icône visionnaire et irascible.

Alors que sa cote de popularité grimpe en flèche, les trophées s’empilent dans l’escarcelle mancunienne. En cinq saisons à Manchester United, Cantona a remporté quatre fois la Premier League et deux fois la FA Cup. De fait, la seule saison du cycle où le titre a échappé aux Red Devils est celle où Cantona a été suspendu neuf mois, la faute à un mémorable coup de pied sauté à Selhurt Park sur la personne de Matthew Simmons, un supporteur de Crystal Palace un peu trop ordurier. Sans cet accroc, United aurait très bien pu aligner cinq titres consécutifs.

L’importance de Cantona durant sa carrière est indéniable : il fut à la fois un joueur phénoménal et l’âme de son équipe. Mais l’onde de choc qui a accompagné son arrivée à United continue de se faire sentir autour d’Old Trafford. Plus de douze ans après sa retraite, la mentalité victorieuse qu’il a réussi à instaurer ne montre aucun signe de déclin.

 

Le Leader:

Quand Éric Cantona a débarqué à Old Trafford, bardé de sa réputation d'enfant terrible du football, il n’était même pas envisageable de le voir un jour endosser le rôle de capitaine. Quatre ans et demi plus tard, c’est pourtant brassard au bras qu’il prenait sa retraite, lui qui venait primordial dans l’éclosion de la plus belle génération de jeunes joueurs jamais produite au club.

Il serait facile de faire un raccourci en évoquant une sorte de révélation qui aurait ouvert les yeux du Français au sang chaud lors de sa longue suspension, consécutive à la célèbre agression d’un supporter de Crystal Palace. Mettre sa carrière entre parenthèses pendant neuf mois est bien entendu amplement suffisant pour retrouver son sang froid, le ”King” s’est même montré étonnamment performant lors de ses travaux d’intérêt général, quand il a dû entraîner des jeunes de la ville. Mais à aucun moment on n’a eu l’impression que cela avait provoqué une quelconque évolution interne. Il n’a jamais changé, il a juste su rallier une bande de suiveurs grâce à son professionnalisme et son charisme naturels.

Éric n’a pas choisi d’effectuer son retour au sein d’un effectif bien plus jeune que celui qu’il avait quitté à Selhurst Park. Les Ince, Kanchelskis et Hughes étaient partis pour laisser la place aux frères Neville, ainsi qu’à Beckham, Butt et Scholes, désormais titulaires en équipe professionnelle. Pour tous ces jeunes loups ambitieux lancés dans le grand bain, il était difficile de ne pas voir en Cantona un exemple à suivre, malgré son passé sulfureux. Sir Alex Ferguson disait d’ailleurs deui : ”C’est un modèle de professionnalisme, le joueur le mieux préparé que j’aie eu sous mes ordres.” Entouré par tous ses jeunes partenaires en devenir, Cantona était celui qui détenait toujours la clé, le grand frère protecteur à la démarche assurée.

"Le manager lui accordait beaucoup de libertés et le laissait s’exprimer, alors il tentait des gestes techniques et marquait plein de buts. C’est pour cela que les jeunes l’admiraient autant", se remémore Lee Sharpe. "Ils se disaient tous : 'C’est lui que je veux être. Je veux être traité comme lui et jouer comme lui. Je veux qu’on m’aime autant que lui.’"

Mais l’influence d’Éric ne s’arrêtait pas à ses partenaires de jeu ; son opinion avait un véritable poids à Old Trafford. Entraîneur des jeunes, Eric Harrison, qui a fait évoluer six futurs internationaux anglais jusqu’en équipe senior chez les Red Devils, est allé voir le Français pour comprendre comment les jeunes pousses étaient formées au pays de Cantona et reproduire le schéma au club.

"Il m’a répondu qu’au niveau technique, il n’y avait pas de grosse différence, mais que les jeunes Français contrôlaient mieux le ballon que leurs homologues anglais", se souvient Harrison. "J’ai enregistré le message et j’ai réagi tout de suite en introduisant plus de jonglages avec le ballon car c’est un exercice qui favorise le contrôle de la balle. Si c’était bon pour Cantona, ça l’était forcément pour mes jeunes."

Si ses mots avaient un certains poids, c’est aussi parce que Cantona était d’un caractère plutôt taiseux. Il préférait s’exprimer par des actes, à l’image notamment de la saison 1995/96, quand il inscrivit le but décisif lors de cinq des sept succès

1-0 des Red Devils en Premier League, ainsi qu’en finale de la FA Cup.

Ses exploits et son aura ont encouragé Sir Alex Ferguson à en faire son capitaine quand Steve Bruce a quitté le club pour Birmingham City en 1996. Pas du genre à ruer dans les brancards ni à chercher à tout prix à fédérer, Cantona n’avait pas vraiment de méthode pour motiver ses troupes. Mais il lui suffisait d’être lui-même pour les inspirer.

"Les joueurs aimaient sincèrement Éric, quand bien même il était souvent très distant, voire effacé", a écrit Andy Cole dans son autobiographie. "Il n’y a que dans le vestiaire qu’il s’ouvrait et qu’il plaisantait. Il discutait avec tout le monde, même s’il préférait clairement se faire discret. Ce n’était pas le genre de mec qu’il fallait chercher, que ce soit sur le terrain ou devant une bière. En dehors du terrain, c'était un solitaire, mais un sacré mec. Et à sa manière de se comporter, on comprenait parfaitement le message : il était son propre maître."

 

Le Changement:

Peter Schmeichel gardien mythique a côtoyé le Français et défendait la cage des Red Devils lors des fameux doublés de 1994 et 1996.

"Je me souviens de ce jour", raconte Schmeichel sur ManUtd.com. "C'est un jour qui a changé beaucoup de choses aussi pour nous, les joueurs. Éric est arrivé et Sir Alex savait qu'il allait réussir ici. Il a démontré ses grandes qualités de manager en gérant parfaitement Éric. Éric avait connu de nombreux clubs avant de venir ici, ce qui ne l'a pas empêché de terminer sa carrière au club au terme de cinq saisons, dont quatre merveilleuses."

Le tempérament de gagneur et le professionnalisme de Cantona a déteint sur les jeunes joueurs qui tentaient de se faire une place en équipe première.

"Éric a changé le football en arrivant ici", ajoute le Danois. "Il a modifié l'état d'esprit et beaucoup d'autres choses. Tous les gamins qui ont été formés à Manchester United à partir de cette période en ont vraiment bénéficié, vous pouvez demander à David Beckham, Gary Neville ou Paul Scholes. Ils font sans cesse référence à Éric."

"Sir Alex l'avait compris. Mieux que personne. Trevor Francis aurait pu le prendre à Sheffield Wednesday, mais il ne lui a même pas donné sa chance. Howard Wilkinson l'a pris, mais il était ravi de le vendre car leur relation était compliquée. Mais Sir Alex n'était pascomme eux. Pour lui, c'était un sacré défi, mais il a décidé de le relever et le reste appartient à l'histoire."

 

 

 

 

 

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