Dans la seconde partie de notre dossier "Munich 58", nous vous relatons un match qui est resté dans l'histoire de Manchester United, juste quelques jours avant le crash...


Partie II : "The Great Match"

Beaucoup pensent, notamment dans ce pays hyper-cultivé footballistiquement qu'est la France, que Manchester United rime seulement avec argent, joueurs payés 180.000 euros la semaine et foot-business.

Sortez dans la rue en bas de chez vous, et allez demander aux passants que vous verrez ce qu'ils savent de Manchester United. La réponse sera souvent celle-ci. D'autres vous parleront du beau jeu qui nous caractérise. Parlez leur maintenant du 6 février 1958 : quoi quoi quoi?

Ceux qui connaissent l'histoire du crash aérien de Munich et la déplorent ne savent souvent pas à quel point l'équipe qui s'est brisée dans cette tragédie était talentueuse. Bon certes, la plupart ne nous n'étions pas nés non plus, mais il suffit de lire les témoignages des anciens ou de regarder le palmarès naissant du club à cette époque pour comprendre. Les jeunes Red Devils étaient sur le point de dominer l'Angleterre, l'Europe.

Et quatre jours avant cette rencontre à Belgrade dont ils ne reviendraient pas, ils le démontrèrent encore une fois en remportant ce que certains observateurs de l'époque s'accordent à qualifier de meilleur match de l'histoire de Manchester United, à ce moment-là.

Il y a exactement cinquante ans, le 1er février 1958, Manchester United se déplaçait à feu Highbury pour y disputer un match de Division One (aujourd'hui Premier League) face à Arsenal. Les onze joueurs qui étaient alignés ce jour-là seraient les onze qui allaient l'être en terre yougoslave quatre jours plus tard. Mais cette rencontre n'avait rien d'un simple match de mise en jambes en l'attente d'affronter l'Etoile Rouge de Belgrade dans la Coupe des Clubs Champions.

Champion en 1955-1956 et 1956-1957, United se revoyait bien refaire le coup pour la troisième fois d'affilée. Et c'était plutôt bien parti. Encore fallait-il passer l'obstacle Arsenal, deux fois cinquième lors des deux dernières campagnes.
La victoire était donc impérative, et malgré le match difficile qui attendait les Mancuniens à Belgrade, il fallait jouer le coup à fond, avec les meilleurs joueurs disponibles.

Mais il fallait aussi composer avec quelques blessés. Entre autres, Jackie Blanchflower, le défenseur central qui avait remplacé le gardien Ray Wood en finale de la Cup perdue face à Aston Villa, manquait ainsi à l'appel. Les ailiers David Pegg et Johnny Berry, ou encore le milieu offensif Liam Whelan, étaient mis au repos.

En défense centrale, Bill Foulkes et le capitaine Roger Byrne allaient être soutenus par Eddie Colman, Mark Jones et Duncan Edwards devant eux. Le jeu offensif allait être animé, et conclu par Ken Morgan, Bobby Charlton, Tommy Taylor, Dennis Viollet et Albert Scanlon. L'international irlandais Harry Gregg prenait place dans les buts.

Le gardien des Gunners, Jack Kelsey, fut le premier à constater la puissance de ses adversaires du jour. Seulement dix minutes s'étaient écoulées, lorsque Dennis Viollet donna le ballon à Edwards qui était monté. Le jeune Anglais tira avec une telle détermination que le plongeon desespéré du Gallois ne put rien.

Un but typique d'Edwards. Sa puissance, sa force étaient sa marque de fabrique malgré son jeune âge. Duncan n'avait que 21 ans, avait déjà joué 18 fois pour la sélection anglaise et l'avait représentée à chaque niveau, depuis les plus jeunes jusqu'aux plus grands. Dans sa courte carrière mancunienne, il avait déjà joué 151 matchs et ce but du 1er février était son 19e but en championnat. Et le dernier.

Arsenal ne se laissa pas faire, surtout devant son public venu en très grand nombre tenter de déstabiliser le champion, et il fallut un superbe arrêt de Gregg pour empêcher l'égalisation, en déviant une frappe puissante sous sa barre transversale.

Le dégagement qui suivit conduisit au deuxième but mancunien. Le ballon fut ressorti sur l'aile gauche par Albert Scanlon, qui parcourut la totalité du terrain le long de la ligne de touche pour centrer. Deux défenseurs londoniens avaient été attirés au poteau de corner par Scanlon, et le centre de ce dernier trouva Charlton qui était pourtant en train de s'éloigner du passeur pour reprendre cette passe un peu longue.

Le tir fut inarrêtable. Kelsey se jeta désespérément sur sa droite, mais le ballon était déjà dans les filets et Charlton célébrait avec les supporters qui avaient fait le déplacement.

Avant la mi-temps, un troisième but vint s'ajouter à l'addition qui s'annonçait salée pour Arsenal. Une fois encore, la vitesse de Scanlon fit la différence. L'ailier déboula encore une fois sur la gauche, contourna le latéral droit des Gunners Stan Charlton et centra directement sur l'autre aile où Ken Morgan renvoya le ballon dans la surface. A l'affût, Tommy Taylor inscrivit son 111e but en championnat sous les couleurs mancuniennes en cinq saisons à United.

Manchester United semblait en route pour une superbe victoire, et bien placé pour prendre quatre points face au club de Londres cette saison (une victoire valait alors 2 points) après la victoire 4-2 à Old Trafford à l'aller. Les matchs prolifiques en buts entre les deux équipes semblaient désormais monnaie courante : la saison passée, en route vers le titre, United l'avait emporté 6-2. Encore une éclatante victoire des Busby Babes?

Pendant les 15 premières minutes de la seconde période, il n'y eut aucun but inscrit, mais David Herd, alors joueur d'Arsenal mais qui rejoindrait plus tard United, y rémédia. Une percée, un tir d'une précision et d'une puissance fatales, et Gregg dut s'avouer battu pour la première fois de la journée. 3-1 pour United, à une demi-heure de la fin.

Et deux minutes plus tard, Arsenal égalisait au terme d'une remontée tout bonnement fantastique. Le milieu de terrain Dave Bowen était l'homme qui tirait son équipe vers le haut. Il était déjà passeur sur le but de Herd, et il fut encore impliqué dans l'action qui amena le second but d'Arsenal. Vic Groves sauta plus haut que tout le monde pour dévier un centre de Gordon Nutt, le cuir atterrit dans les pieds de Jimmy Bloodfield qui réduisit la marque.

Soixante secondes après cette réalisation, c'est encore Nutt qui donna le ballon à Bloomfield dont la tête plongeante magnifique laissa Gregg sans voix, et Highbury dans un état d'euphorie indéfinissable. Arsenal 3, United 3.

Ce retour en force aurait pu briser l'élan des Reds de Manchester United. Mais ce fut totalement l'inverse qui se produisit. Alors que beaucoup d'entraîneurs, que beaucoup de joueurs auraient désespérément défendu en quête du point du match nul, les Busby Babes repartirent de plus belle, en quête de buts. En quête de victoire.

La vitesse de Scanlon - encore -, et le talent de Charlton offrirent le quatrième but de Manchester United à Dennis Viollet. Les supporters mancuniens eurent à peine le temps d'exprimer leur joie, que Tommy Taylor inscrivait son dernier but à la réception d'une passe de Morgans. Pour la cinquième fois, Kelsey retournait chercher le ballon dans ses filets.

Aucun scénariste n'aurait pu prévoir un tel épilogue. Mais personne non plus dans l'arène ne pouvait comprendre qu'ils étaient en train d'assister à la dernière fantastique démonstration des Babes. Le dernier but de Derek Tapsfott ne changea rien au résultat final, et la foule quitta Highbury avec le sentiment d'avoir assisté à quelque chose d'unique. Quelque soit leur club favori.

Le destin, malheureusement, avait décidé que ce match serait l'épitaphe de ces jeunes héros de Manchester. Ce score final de 5 buts à 4, dans une rencontre jouée avec tant de passion, de créativité, en dit plus long que le plus long des livres qui a été écrit sur cette équipe.

United pouvait à présent préparer au mieux son quart de finale retour de Coupe des Clubs Champions face à l'Etoile Rouge de Belgrade. Ce sera le prochain chapitre de notre dossier sur ce mois de février rouge.

 

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