Les Busby Babes n'étaient plus. Plusieurs vies venaient de terminer leur course dans la neige de l'aéroport de Munich. La nouvelle atteignit Manchester quelques heures plus tard, plongeant la ville dans la douleur.


L'après-midi du crash, Alf Clarke avait téléphoné au service des sports de l'Evening Chronicle pour les informer que le vol risquerait de ne pas décoller. Il s'arrangerait donc pour rentrer le lendemain. A trois heures de l'après-midi, le journal avait fermé ses portes, ou presque, et la dernière édition quittait le siège de Withy Grove.

Ailleurs à Manchester, les éditions du soir commençaient à travailler. Reporters et éditeurs se renseignaient auprès des agences de presse pour savoir ce qu'ils pourraient bien écrire dans leur édition du vendredi 7 février 1958.

Le week-end suivant, United devait rencontrer les Wolves, leaders de la Division One, à Old Trafford. Malgré le long voyage pour rentrer de Belgrade à Manchester, les supporters voyaient déjà les leurs triompher et réduire ainsi l'écart les séparant de la première place de quatre points à un seul. A juste une victoire du fauteuil de leader. A juste une victoire d'un troisième titre de Champion d'Angleterre consécutif.

Manchester United pouvaient-ils imiter Huddersfield et Arsenal, seuls à avoir réussi un tel exploit pour le moment? S'ils y parvenaient, cela serait magnifique, peut-être même encore plus que cela ne l'était déjà avant la Seconde Guerre Mondiale. Le samedi arrivait, avec lui le match, et les Busby Babes feraient certainement la Une des éditions de la ville.

Mais sur le téléscripteur, s'afficha alors un message incroyable.

L'avion de Manchester United s'est écrasé au décollage... On craint beaucoup de morts.

La BBC interrompit ses programmes pour diffuser un flash spécial. Le monde du football écouta, mais peu comprirent.

Jimmy Murphy, ami de Matt Busby depuis la guerre et à présent son assistant au club, était aussi l'entraîneur de la sélection du Pays de Galles. Et le hasard du calendrier avait voulu qu'un match qualificatif pour la Coupe du Monde avait coïncidé avec le quart de finale à l'Etoile Rouge. Murphy avait dit à Matt Busby qu'il préférerait aller en Yougoslavie qu'à Cardiff, mais celui-ci lui avait répondu que sa place était au Pays de Galles.

Je m'asseyais toujours à côté de Matt Busby lors de nos voyages européens. Mais j'ai fait ce qu'il m'a dit et je l'ai laissé partir à Belgrade sans moi. Je dois être honnête - mes pensées étaient plus tournées vers ce match que vers celui auquel j'assistais. Quand j'ai entendu qu'on était en demi-finale, j'étais le plus heureux des hommes. Mais je regrettais de ne pouvoir être là-bas.

Jimmy Murphy était juste de retour à Old Trafford après la rencontre de l'équipe nationale, quand il apprit la nouvelle. Alma George, la secrétaire de Matt Busby, lui annonça le crash de l'avion transportant l'équipe. Il ne réagit pas tout de suite.

Elle me l'a répété. Ca ne m'atteignait toujours pas, je ne comprenais pas. Puis elle a commencé à pleurer. Elle m'a dit que des gens avaient été tués, elle ne savait pas combien, mais que les joueurs étaient morts, certains d'eux en tout cas. Je ne pouvais le croire. Les mots semblaient résonner dans ma tête. Alma est partie et je suis allé dans mon bureau. Ma tête était dans un état de confusion inouï. Et je me suis mis à pleurer moi aussi.

Le lendemain, Murphy prit un vol pour Munich et resta stupéfait devant ce qu'il vit là-bas.

Matt était dans une tente à oxygène, et il m'a dit 'Keep the flag flying' ('Continue de porter notre drapeau'). Duncan m'a reconnu, m'a parlé. C'était un moment terrible, vraiment terrible.

Murphy devait donc reconstruire, telle était la volonté de Matt Busby. La vie continuait malgré la tragédie, et United rejouerait au football, un jour.

Je n'avais pas de joueurs, mais j'avais une tâche à accomplir.

Après que la nouvelle ait été reçue par les journaux du soir de Manchester, des éditions spéciales furent imprimées. A 18 heures, le Manchester Evening Chronicle était en vente. Sur la première page, on pouvait lire :

Environ 28 personnes, dont des membres de l'équipe de football de Manchester United, des officiels du club et des journalistes auraient trouvé la mort dans le crash d'un Elizabethan de la British European Airways. L'appareil s'est écrasé dans une tempête de neige à l'aéroport de Munich, juste après le décollage. Il y aurait 16 survivants. Quatre d'entre eux sont des membres de l'équipage.

Le journal, qui comportait également le résumé du match signé Alf Clarke et des commentaires sur la rencontre, affichait aussi, toujours en première page, 'Alf Clarke a parlé à des journalistes de l'Evening Chronicle juste avant le crash et il a dit qu'il était improbable que l'avion décolle aujourd'hui'.

Bien que le drame ne se soit produit que trois heures auparavant, le journal incluait aussi un rapport détaillé des événements qui s'étaient déroulés à Munich ce jeudi après-midi.

24 heures plus tard, alors que l'Europe entière avait maintenant connaissance de la tragédie, l'Evening Chronicle dressa la liste des 21 morts en page de garde, sous le titre 'Matt Busby se bat pour la vie : c'est du 50-50 à présent'. Il y avait une photo de Bill Foulkes et Harry Gregg au chevet de Ken Morgans, et des détails sur comment les autres blessés répondaient aux traitements. Le brouillard autour de la tragédié était levé : Munich avait emporté 21 vies, 15 personnes était blessées, dont 4 très grièvement. Ainsi que Matt Busby.

Les jours suivants, Manchester vécut dans la douleur. Les corps des héros furent rapatriés sur le sol anglais qui était le leur, puis emmenés au gymnase qui se situait sous la grande tribune d'Old Trafford. Les derniers sacrements leur y furent administrés. Aujourd'hui, le gymnase a été transformé en loge pour les joueurs. Les successeurs des Busby Babes y reçoivent leurs adversaires après le match pour discuter un peu et boire un verre.

Des milliers de supporters les rejoignirent pour un dernier hommage. Les familles demandèrent à ce que les funérailles se déroulent dans l'intimité. Respectant ce voeu, les Mancuniens dressèrent une haie d'honneur de chaque côté de la route menant au cimetière, dans un silence à faire pleurer une pierre, mais n'y pénétrèrent pas.

Des films d'actualité diffusèrent ensuite les images de Munich. Le football répondit également, des milliers de minutes de silence furent respectées dans le monde entier. Desmond Hackett écrivit, lui, un épitaphe émouvant à Henry Rose, que nous vous présentions comme le journaliste le plus populaire du Royaume à l'époque.

Même le ciel pleura pour Henry Rose aujourd'hui...

La série complète :

 

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